Carnet politique N°4 : des fleurs

J’entre chez le fleuriste. Il est 19h30, il fait nuit, la place d’Italie grouille de gens pressés, les bouches de métro dégobillent des flots de mines exaspérées – c’est la grève – tout le monde se rue chez soi, et moi, je sors.

Dans la boutique, un jeune homme détaille les goûts et les couleurs préférées de sa mère : « Elle aime le violet et le rose. » La fleuriste quitte son guichet, se promène entre les bottes parfumées, les pots vides et les bouquets séchés, attrape quelques variétés aux noms immémorables, compose, et se retourne vers le client : « Comme ceci ? » Comme cela. Derrière, un homme ausculte chaque pétale. Il hésite. Il consulte son téléphone. Il compare. Il est sans doute amoureux. Ou coupable.

Après moult tergiversations, le premier client s’en va enfin. Je m’avance et, sans réfléchir, lui commande deux bottes de roses blanches. Elle les dépose sur son plan de travail et m’interroge sur l’occasion de cette offrande. Machinalement, je lui réponds : « C’est pour déposer à un endroit où a eu lieu un crime. » Elle lève les yeux. Je baisse les miens. « Ce soir », me demande-t-elle. Oui, ce soir.

Je retourne à la voiture, dépose le bouquet sur le siège passager et fonce au Mareyeur, à côté du Sénat. Axelle y travaille et ne pourra se joindre à. Elle m’a donc demandé d’y déposer ses fleurs. Nous ne serons pas nombreux, de toute façon. Mais en cet instant précis, le silence de huit vaudra le cri de mille.

Il est 21h. Devant l’immeuble, une vision familière, celle des bougies, des photos, des lettres et des fleurs. Une nature morte contemporaine. Comme d’habitude, il y a ceux qui s’arrêtent, ceux qui passent, ceux qui prient et ceux qui parlent. Et puis il y a cet enfant. Là, tout seul. Agenouillé devant le portrait de Lola. Isolé du vacarme, de la rumeur, des regards et des moqueries. Après avoir déposé son bouquet, John s’agenouille à côté de lui, le regard porté vers ce visage lumineux, celui de Lola. Et pendant quelques secondes, ce petit garçon au visage blème lui parle de cette amie qu’il ne reverra pas. Ils pleurent. Moi aussi. D’injustice, d’impuissance et de haine.

Quelques jours auparavant, dans la voiture, Guillaume nous faisait écouter l’interview d’un journaliste qui dévoilait les détails sordides du crime. Je me cramponnais au volant et ravalais mes larmes en me jurant exagérément de les buter moi-même. La route était si longue. Et nous étions si tristes. Pas d’une tristesse sanglotante dont l’abattement nous fait renoncer à tout espoir. Mais au contraire, la tristesse du justicier. Loin du trafic des émotions, du politiquement correct, du détournement des esprits, du calcul, du buzz, de la tactique…

Nous décidons alors d’annuler un déplacement dans la Sarthe pour se rendre à l’hommage aux victimes organisé par l’Institut pour la justice. Non par « récupération politique » mais précisément parce qu’être politique, c’est être responsable, et qu’être absent, c’est être coupable. Mais les heures passent et les figurants se révèlent. Ce soir là, il y a ceux qui se joignent aux larmes des Français et ceux qui se chauffent au bois de leur égocentrisme.

En apprenant le retrait de certains, je me dis simplement que si ce genre de drame ne convainc pas les politiciens de droite et de gauche de s’unir un instant, alors nous ne pouvons définitivement plus rien faire pour eux, et eux ne feront jamais rien pour la France.

Si ces gens censés servir les Français, prétendant au pouvoir, fuient leurs plus simples responsabilités d’hommes et se comportent en fuyards devant ce qu’il y a de plus odieux, la mort d’un enfant, au prétexte qu’elle ne vaudrait pas un risque – moindre – politique, c’est qu’ils ne prendront jamais aucun risque au pouvoir.

Maud Protat-Koffler

3 réflexions sur “Carnet politique N°4 : des fleurs

  1. Un récit émouvant. Une description de ce qu’il se passe en France aujourd’hui très juste.
    Ce qui hélas est une évidence pour certains, ne l’est pas du tout chez d’autres.
    La bagarre des mors et sur le terrain sera très rude. Ne lâchons rien.
    Merci à vous

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