7h40. Un crachin plonge la rue du Cherche-Midi dans une ambiance plutôt morose. En quelques jours, le ciel printanier s’est affaissé. Les nuages ont repris possession des toits haussmanniens et les mines se sont assombries. « Comme un lundi », pensé-je. Mais un lundi d’anniversaire. Thomas et moi nous arrêtons au Grillon le temps d’un café servi au comptoir, entre les riverains et les ouvriers. Nous nous dirigeons ensuite vers le point de rendez-vous fixé par Guillaume, à une encablure de là. L’attente ne sera pas longue. Pourtant, ce sont souvent ces rares et courts instants de répit qui vous incitent à tout remettre en doute. De l’utilité de votre propre engagement à celui de l’homme que vous avez choisi de suivre jour et nuit. De cette situation singulière à cette vie que vous avez décidé de consacrer à la patrie, entièrement, à travers le moindre service, le moindre mot, la moindre action, la moindre minute passée à attendre dans cette voiture, en double-file. Mais à attendre quoi ? A attendre qui ? Et à quoi bon ? A cet instant, tout m’échappe. Et je n’ai pas l’intention de courir après des certitudes qui se font la malle. Autant affronter le doute. Même quelques secondes.
Peut-on servir son pays noblement à travers la politique ? Peut-on réellement aider les Français à partir de discours, de programmes et de stratégies de communication ? Peut-on reconquérir les cœurs, réconcilier les âmes et ressusciter cet idéal dans l’esprit de ceux qui l’ont déjà abandonné, ou qui ne l’ont jamais connu ? Peut-on vraiment changer le court de l’Histoire en invoquant sans cesse « l’art du temps long », quand tout, jour après jour, nous plonge un peu plus dans l’abîme ? Une phrase de mon père spirituel me revient alors : « A quoi sert de gagner le monde si c’est pour se perdre soi-même ? » Mais une seconde bouscule cet instant de sagesse : « Il y a un temps pour tout. » Et ce temps ne nous appartient plus.
Je m’étais emportée à ce propos, cet été, en appelant Guillaume pour lui confier mes incompréhensions, mon insatisfaction, ce sentiment d’abandon, d’impuissance partagé avec de nombreux militants… Et il m’avait tenu ce discours sur le temps long. En raccrochant, je m’étais dit : « Il n’a vraiment rien compris. » Puis je me suis imposée un moment de silence, justement. De déconnexion. Il me fallut apprendre qu’entre ma vie de journaliste, de l’immédiateté, de l’urgence, et celle de collaboratrice d’un homme politique, il y avait un précipice temporel. Que, comme tout le monde, je m’étais sans doute un peu laissé dévorer par les réseaux sociaux, par cette communication permanente qui empêche les esprits d’éclairer le monde, un monde ébloui par les écrans, l’inconsistance de l’information de masse et le bruit strident de la rumeur. Mais tout de même. Le temps long n’est rien sans le temps court.
Une silhouette apparaît dans le rétroviseur. C’est lui. Il termine sa cigarette, traverse la rue, ouvre la portière et passe la tête dans la voiture : « Joyeux anniversaire Maud ! »
Maud Protat-Koffler

Quelle grâce dans ces mots offerts à une juste cause, la reconquête de France.
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