Entretien (5) Jean-Marie Le Pen : « Ma vie, j’en ai fait des chansons »

PHOTO : JOEL SAGET / AFP

(…) Sur un air d’Alain Barrière, compatriote de la Trinité-sur-mer, Jean-Marie réalise justement qu’il doit y retourner au printemps fleurir la tombe de sa famille… et préparer la sienne. « Nunc dimittis ! Je n’y ai jamais pensé avant 90 ans. Je me suis dit : là, tu entames la dernière ligne droite. Combien de temps va-t-elle durer ? 1 an, 2 ans, 5 ans, 15 jours ? » In saecula saeculorum. Il n’est pas pressé. Madame Calmant est morte à 122 ans, elle disait : « Je n’ai qu’une seule ride, je suis assise dessus. »

L’Algérie

« Un jour, je reçois une invitation absolument étonnante venant de Krim Belkacem. J’hésite quand même parce que je ne suis pas en odeur de sainteté dans ces milieux-là. Puis j’accepte. » Il embarque alors dans une voiture où l’attend l’ancien représentant du FLN. Ils discutent un certain temps puis Jean-Marie Le Pen finit par lui demander pourquoi il a souhaité le rencontrer. Krim Belkacem lui répond simplement avec un sourire : « Je voulais te connaître. » En remontant dans ses souvenirs, Jean-Marie Le Pen cherche toutefois une raison qui aurait joué en sa faveur. La guerre d’Algérie. Lors de l’expédition de Suez, il se trouve chargé d’enterrer de nombreux morts du camp adverse. Il fait donc creuser des fosses communes et, respectant le dogme musulman, oriente les cadavres vers la Mecque en n’omettant pas de retirer leurs chaussures. « Je ne suis pas du tout coraniste, je n’ai ni tendresse ni bienveillance pour l’Islam mais les morts, c’est les morts. » Paradoxalement, sur la rive adverse, une unité de parachutistes français balance les corps à la mer. Le FLN n’aurait donc jamais attenté à ses jours en raison de cette considération accordée aux musulmans. « J’avais aussi été le premier à présenter la candidature d’un arabe à la députation à Paris, en 1957. La réputation de Le Pen raciste m’a fait rigoler. La première fois que j’ai été député, mon deuxième de liste était noir ! Roger Sauvage, un pilote de Normandie-Niemen, martiniquais. »

La mauvaise réputation

Fasciste, raciste, homophobe, antisémite, nazi… Jean-Marie Le Pen cumule les étiquettes mais n’y accorde pas grand intérêt. Placé très tôt au banc de la société, il se définit sans complexe et en rajoute : « Je suis l’un des rare qui suis fier de la colonisation française. J’ai traîné mes bottes dans le monde, quand même. J’ai vu le vaste monde et je trouve que ce que nous avions fait, c’était plutôt sympa. Bon, ce n’était pas parfait, sans doute… Je n’ai aucun lien particulier avec les colons, je n’ai pas non plus d’hostilité systématique. »

S’opposer au pouvoir

Roland Dumas m’avait affirmé être resté en sympathie avec Jean-Marie Le Pen. C’est confirmé. « Nous faisions partie du bureau d’âge de l’assemblée de 1956. Roland était le plus âgé et moi j’étais le plus jeune. Son père a été fusillé pendant la guerre. » Jean-Marie Le Pen redit avoir toujours été dans l’opposition, jamais ministre, et de s’en être bien passé. Ça n’était pas son ambition, affirme-t-il. « J’ai vu tant de médiocres le devenir… Je n’aurais pas considéré comme déshonorant de l’être si ça correspondait à une politique que je soutenais. Mais comme en général, j’étais toujours très réservé à l’égard des initiatives du pouvoir et que la France n’a cessé de décliner durant toutes ces années… » Combattant de l’arrière-garde, le menhir reconnaît avoir reculé toute sa vie, mais en tirant. « J’ai reculé à reculons ! »

Maud PROTAT-KOFFLER

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