Carnet politique N°3 : de France, mon pote

PMU de Neung-sur-Beuvron, 17h12, l’heure de rien. C’est-à-dire l’heure à laquelle on ne sait ni quoi commander, ni quoi dire : bonjour ? bonsoir ? un café ? une bière ?

« Bonjour Monsieur, un café s’il vous plaît. »

Un monsieur est installé à une table et sirote son rouge en regardant passer des clips musicaux à la télé. « Mademoiselle », me dit-il en inclinant courtoisement la tête. Je demande où se trouvent les toilettes, le patron m’indique le fond d’une cour, « la porte en fer », et me tend une clef. L’impression d’aller en taule. Je m’assois ensuite derrière le monsieur qui sirote son rouge. Un autre homme entre. Il me regarde avec étonnement et me salue comme s’il m’interrogeait sur ma présence ici : « Bonjour ? » Puis il salue Michel – Michel, évidemment – et se dirige vers le bar. Dans la foulée, deux autres personnes entrent. L’une pour acheter des clopes, l’autre pour retrouver son pote. Entre deux « salut ma poule », je découvre que le patron s’appelle Hubert.

« T’as pas tué mon chevreuil, hein« , demande Lionel en cessant un instant de gratter son jeu. Puis, sans attendre la réponse de l’un, se tourne vers l’autre : « Tu joues pas, Michel ? » Il balance un bras vers le ciel en expliquant qu’il ne gagne plus depuis longtemps. Puis, de toute façon : « Je préfère jouer pour gagner plutôt que jouer pour le plaisir. » José entre à son tour. Il serre la main des piliers de bar, celle du patron et demande deux paquets de clopes en se traînant lentement vers le comptoir. « Ça va ? » Non. C’est rare. Mais quand Hubert lui demande pourquoi, José répond : « Oh, tu sais… » Non, justement, on ne sait pas. Mais on comprend. Ici, comme dans n’importe quel vrai troquet, à Paris ou en province, les problèmes des uns deviennent immédiatement les problèmes des autres. Certains se règlent sur un malentendu, un conseil de pote, un service payé à la pinte. D’autres se taisent, et c’est parfois mieux comme ça.

Michel se lève. « J’y vais ! » Il croise Fernand sur le pas de la porte. « Ah salut Michel, il est pas là Bertrand ? » « Mais laissez-le tranquille », s’écrie l’un des piliers, il est en stage, il a des horaires, lui ! ». Les gars poussent un long oooooh de protestation puis retournent à leurs conversations.

A la télé, une chanson incite à « vivre sa vie en mieux ». Une seconde affirme que « c’était mieux avant ». Les mecs ont déjà sifflé leurs bières. Les jeux n’ont rien donné. Reste la poudre métallique sur les coins de table et les verres vides. « C’était mieux avant… à force de répéter ça comme des vieux cons, on va peut-être finir par nous prendre au sérieux », pense Eric à voix haute. Il est 17h29, le bar s’assombrit. La lumière s’allume. « Tu me remets une bière s’il te plaît ? » Une remarque fuse : « On va bientôt vous installer une tente ! » Lionel répond : « Tu veux pas plutôt boire un coup au lieu de m’emmerder ! » Aussitôt dit, aussitôt fait. « Il vient l’autre pignouf ? » L’expression favorite de Guillaume Peltier. Il faut dire qu’il en a passé, du temps, dans ces bars. Il en a bu des canons au chevet des derniers tenanciers de province. Il en a soutenu des piliers qui s’affaissaient.

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Thierry entre : « Salut ma caille ! » Les autres lui demandent où il était. « Bah je chassais les gazelles ! », dit-il avec délicatesse (non). Didier rattrape la porte et entre à son tour : « Bon les gars, rendez l’essence ! » Il attrape un magazine et rejoint les autres au bar. « Ils ont livré Intermarché mais c’est déjà le bordel », lui répond Thierry. « C’est pas le moment de faire des bornes pour rien », reprend-t-il en tirant la porte. « Je vais dehors ! » Les autres suivent. Hubert se retrouve seul derrière sa caisse. Et moi, derrière mon ordi et mon fond de café froid.

Je n’avais jamais pensé revenir ici. Nous nous étions arrêtés en juin avec Guillaume, entre deux propagandes, mais dans le bistrot d’en face, Chai Amandine. Le PMU est situé entre l’église et la mairie. Stratégique. C’est ici que Guillaume a remporté sa première victoire électorale en tant que maire. Ensuite, tout s’est enchaîné. Président de la communauté de communes de la Sologne des Étangs, député, conseiller départemental de Loir-et-Cher dans le canton de Chambord… C’est sa terre. Presque son sang. « Je suis Solognot d’adoption », reconnaît-il. Par l’éducation reçue de ses grands-parents et par les urnes.

Hier soir, nous quittions Paris. « Le meilleur moment de la journée », selon lui. Il déteste cette ville. Le bruit, la circulation, les travaux… et le parisianisme. Cette façon méprisante d’observer le reste du monde, ou pire, de l’ignorer. Dans sa bouche, le mot « ruralité » n’a rien de mondain. Au contraire. Lorsqu’il se dit « provincial », il ne se justifie pas, il le revendique.

Maud Protat-Koffler

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