Carnet politique n°2 : chemin de mémoire

Lorsque cette étendue de croix apparaît au milieu de la plaine, surgissant subitement des récits de nos pères comme une porte entrouverte sur l’Histoire, nous nous taisons. Et dehors, le monde entier semble communier à ce silence. Plus un oiseau ne chante. Le vent, seul, nous murmure le témoignage de ces milliers de soldats tombés pour la France et nous conduit sur ce chemin de mémoire, à la nécropole de Rancourt.

Avant de rejoindre les cadres de l’Oise et de la Somme, Guillaume se laisse guider par les dernières lueurs du jour vers les dormeurs de la Somme. Rares sont ces instants de solitude dérobés à la cadence infernale des agendas, des réunions, des déplacements officiels, des rendez-vous officieux, des discours, des appels, des urgences, du bruit, de l’agitation, du monde… Et pourtant. Pourtant, il est un rendez-vous plus essentiel encore que celui que l’on prend avec les hommes, c’est celui que l’on réclame à l’Histoire. C’est cette rencontre avec chaque croix, chaque nom, chaque date, chaque martyr. C’est ce temps suspendu, le dos courbé, les mains jointes, le cœur engourdi, l’âme en peine, les yeux humides, accroupi au milieu des sépultures, seul, à hauteur d’anonymes dont on découvre soudain l’identité, l’âge, et dont on ne peut s’empêcher d’imaginer la souffrance. Ce sont ces minutes de conversation avec la France. Cette étreinte des esprits qui se reconnaissent et qui ne se quitteront plus jamais, parce qu’ils se doivent tout.

La nuit tombe. Et Guillaume s’enracine. Je me demandais au départ s’il ne s’agissait pas d’une déambulation symbolique, d’un arrêt pour l’image, d’une action politique… Mais nous sommes seuls au milieu de ces géants. Pas de caméras, pas de téléphones, pas de couronnes de fleurs, pas de discours. Même pas de date, d’événement, tout ce qui pourrait induire à une quelconque récupération politique. Non. Seulement l’appel du cœur, le devoir, un besoin de se sentir petit dans cet univers de surreprésentation, de surcommunication, de surconsommation et d’oubli. Un besoin de quitter ce siècle de repentance et d’embrasser celui de nos pères, de nos grands-pères et de nos arrière-grands-pères.

Ce soir, Guillaume nous parlera de gloire, de fierté, de mérite, de travail, de combat, de courage, d’abnégation et d’avenir.

Maud Protat-Koffler

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