[Choses vues] Café Montparnasse

Café Montparnasse. Ici, entre les fauteuils en cuir, les chaises en rotin, les rideaux en velours, les guéridons en fonte, les publicités d’antan, les lustres Belle-Époque épargnés par le grand remplacement suédois, ce comptoir en zinc et ce décor boisé, le temps ne s’est pas arrêté. Mieux, il a fait demi-tour. Dans cet urbanisme moderne, bétonné, bruyant, cette immense tonnelle rouge s’impose au nouveau monde comme un vieux phare. Comme un rempart. Une citadelle. Un bras de fer, de chair et d’or entre l’inénarrable beauté du temps passé et celui qui vient.

Ici, on aimerait tous les appeler Patrick ou Michel. Surtout lui. Celui qui vient d’entrer, les mains cachées dans les poches d’un pantalon trop large, les cheveux blancs, la mèche rebelle, le corps si fin et le regard si triste. Ce Michel là semble crouler sous le poids de sa veste. Il s’approche du comptoir, s’y accroche en interrogeant le garçon du regard et marmonne : « Un allongé sivouplé. »

Puis il attrape le journal et s’y plonge comme on se dérobe derrière l’écran d’un smartphone quand on ne sait pas quoi faire ni à qui parler. Entre deux lignes, il balaye les tables du regard, se heurte au mien, semble confus et retourne à sa fausse lecture. Trop tard, je l’ai remarqué. Lui, l’insignifiant. Lui qui incarne malgré lui cette petite France essoufflée, si belle mais si malade. Sacré Michel.

Maud Protat-Koffler

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