J’ai vu rayonner la France dans des reflets de Crémant bourguignon et dans des yeux aussi pétillants que ceux d’un nouveau né. J’ai vu flirter des jeunes, des vieux, des gens raisonnablement ivres et d’autres sauvagement sobres sur une piste de danse où même le diable se poussait pour nous laisser vivre et danser. J’ai redécouvert cette camaraderie de comptoir entre les drapeaux tricolores et le sirop de cassis, et nous étions comme deux Madelon enflammées, tantôt sur scène, tantôt au bar, porteuses d’une fièvre aussi saine que contagieuse. La plus efficace. La plus belle.
J’ai vu danser des couples centenaires sur des musiques d’aujourd’hui et des adolescents flirter sur du Cloclo, un gamin de 15 ans réclamer des bières toutes les 10 min loin du regard parental pour mieux draguer la vingtaine, et un ancien vissé au bar, champion du collé serré entre deux pintes.
Je me suis vue rougir en interceptant un regard perdu dans mon décolleté et pleurer de rire en le libérant sans avertissement. Je nous ai vues tellement folles, mon dieu, au moment de nous illustrer sur un YMCA démentiel et d’apercevoir tous ces regards heureux, tous ces bras étendus vers un ciel ombragé, toutes ces mains libérées de la moindre supplication, tous ces sourires à moitié cachés, tous ces visages redécouverts au détour d’un néon bleu.
Je vous ai vus abreuver ce désert de sentiments par des paroles pourtant simples prononcées en bon français ou en patois, par des réclamations ou des remerciements ; dragueurs, râleurs, blagueurs, seigneurs et paysans, incarnant la plus haute noblesse française par votre seule noblesse d’esprit. Je nous ai vus timidement enlacés sur un slow, courageusement élancés sur la piste, démontrant fièrement que la France d’hier est un poème et que la France d’aujourd’hui en est la rime. Que nous avons besoin de cet enracinement pour vivre comme nous avons besoin de quatre pieds pour danser. Que le drame de notre siècle réside dans cette crainte obsessionnelle de ce qui nous est pourtant si proche, et que sa beauté ne dépend que d’imprévus arrachés à la routine et à l’ennui, à ce qui mine nos campagnes et fait périr nos petites histoires.
J’ai vu défiler 150 étendards, un dans chaque regard. Chacun portait ses batailles, ses plaies et ses médailles. Et je voudrais les élever au-delà des dignités qu’ils ne recevront sûrement jamais. Leur dire que le 14 juillet, ce n’est pas l’Histoire, ce sont eux, ces prénoms que les monuments devraient envier : Jean-Pierre, Denis, Francis, Michel, Line, Junior, Alex, David, Jérémie, Nathalie, Clotilde, Valérie, Séverine, Philippe, Christophe, Marjorie…
La France est un joyau.
Maud Koffler
