2021, dernières choses vues

Il y avait une cigarette écrasée dans un cendrier. Un guéridon en bois, des chaises en rotin et du marc de café abandonné au fond d’une tasse rouge, près de la porte. L’intemporalité.

Il y avait une femme esseulée que le serveur avait oubliée. Assise dans l’angle mort. Un bonjour sans réponse prononcé sous un masque qui lui ôtait ses derniers traits d’humanité. Les cheveux mal coiffés, un vieux manteau rouge, des baskets neuves, un collant noir et une jupe, sans doute, sur laquelle elle était assise. Une mine triste. Un corps las. Les yeux mi-clos posés sur ce téléphone muet. Et le serveur qui ne venait pas. L’attente.

Il y avait un vieux monsieur aveugle guidé par son chien. Le café habituel, sans sucre, consommé à la même place chaque matin, et servi avec un sourire qu’il devinait. Sans doute se laissait-il distraire par la conversation des trois hommes assis à sa droite, tantôt piano, tantôt forte, dont on ne captait finalement que de brèves conclusions : « T’es qu’un con. » L’esprit français.

Il y avait le dos courbé de ce pilier de comptoir, appuyé sur le zinc, une casquette vissée sur la tête, les bras croisés, les épaules remontées jusqu’aux oreilles. Rabougri. Mais debout. De temps en temps, lorsque le serveur repassait derrière le bar, il lui faisait un signe de la tête. Ça valait mieux que des politesses insignifiantes. Puis il replongeait en lui-même. La solitude.

Il y avait ce personnage « zolien ». Le visage creusé, le regard cafardeur, les cheveux noirs peignés en arrière, un blazer en velours sombre porté sur un gilet marron et une chemise qu’on distinguait à peine, le col apparaissant sous un nœud de foulard rouge ; de longues mains posées sur la table, l’une trouvant de temps en temps l’anse d’une tasse désespérément petite, l’autre glissant lentement sur les lignes d’un journal ouvert : Libération.

Il y avait un petit bout de France en chacun d’eux. Une France poète, une France triste, une France de gauche, une France d’avant. Une chanson douce. Le parfum du café chaud et celui du tabac froid qu’on emporte avec et malgré soi, comme une seconde peau, comme un agréable fardeau, comme un étendard vivant dans ce monde de morts. Un petit peu d’amertume dans ces vies fades. Il n’y avait rien de beau. Rien de glorieux. Rien de grand. Rien de risqué. Rien d’impossible. Rien d’important. Rien de fou… Mais rien, rien… rien, c’est souvent tout.

Chers lecteurs, je vous souhaite de l’ivresse, de l’imprévu, de l’insolence, de l’audace, de la passion, de la folie, de l’émerveillement, de l’absolu et de l’espoir. Je vous souhaite de préférer le risque à la prudence, et de ne vous résoudre qu’à une chose : vivre.

Maud Koffler

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