Devoir rendu en cours de communication politique, à l’ESJ Paris, en juin 2021.
Aura-t-elle simplement l’allure d’une roulade réalisée entre les plate-bandes de la première dame et les étrons du chien présidentiel ? Ou celle, crise sanitaire oblige, d’une performance virtuelle à grande échelle, comme ce meeting de J.-L. Mélenchon décliné en réalité virtuelle ? Faudra-t-il passer sur toutes les chaînes YT, chez tous les influenceurs et dans toutes les stories lifestyle et glutenfree d’Instagram ? Les candidats devront-ils créer leur propre média pour échapper au contrôle du CSA ? Mener une campagne façon Trump au risque d’y laisser leurs followers pour un tweet de trop ?
Et si tout cela devenait inévitable ? Et si la stratégie numérique devenait exclusive et surpassait la stratégie politique ? On a bien vu, en 2017, des candidats se fendre d’un dab devant une classe de primaire pour avoir l’air cool et au fait des tendances de l’époque, utiliser des filtres Snap, tomber la cravate, s’adapter aux nouveaux formats de vidéo, façon Brut et Kombini, éviter les discours fleuves, faire du buzz, et surtout, surtout, avoir l’air de tout, sauf d’un candidat.
En somme, vont-ils devoir troquer leur statut d’hommes présidentiables et providentiels contre celui de personnalités influentes dans des mises en scène improbables qui ne touchent désormais plus seulement la jeune génération, mais l’ensemble des Français, grâce ou à cause de cet épisode cauchemardesque du confinement et de cette omniprésence du peuple français sur les réseaux sociaux, deuxième parlement du peuple ?
Seulement voilà, les Français commencent peu à peu à ressentir un besoin de réel, de proximité, à rebours des campagnes marketing. Et ce sentiment là, même s’il ne s’exprime pour le moment que par un retour massif en terrasses, au plus proche des pintes et des planches de charcut’, ce besoin de réel dans un contexte sanitaire encore fragile et dont on ignore si on en sortira un jour, pourrait être le grand obstacle de cette campagne de communication.
Pourquoi. Parce que nous avons atteint un degré charnière de la vie politique française où les hommes, selon moi, ont remplacé les idées. Parce que depuis des années, outre cette épidémie, le climat de méfiance entre le peuple et les politiciens s’est accru. Les gilets jaunes ont dopé cette méfiance et un nouveau courant d’idées s’est invité à la table des conservateurs, progressistes, modernistes, gauchistes, extrémistes, etc… le populisme. Et alors là, comme le gaullisme, tout le monde s’est identifié à ce courant. Mais avec chacun sa définition et sa propre charte, évidemment. Il y a le populisme actuel de gauche, une rhétorique anti-élitiste, anticapitaliste, multiculturelle, ultra-mondialiste, etc… et le populisme de droite, protectionniste, souverainiste, eurosceptique… J’ajoute qu’un récent sondage indique que l’électorat Français et européen penche de plus en plus à droite (39% des Français se disent de droite), ce qui rend la rédaction de Libération plus que sceptique puisqu’elle publiait hier un article titré : pourquoi les français votent-ils à droite s’ils veulent une politique de gauche ?
Pendant un an et demi, la communication politique s’est un peu déstructurée, on a laissé tomber les codes, les formalités, on a multiplié les moyens d’expression, les plateformes, les réactions, quitte à réagir à n’importe quoi pourvu que ça buzze, pour communiquer au rythme de l’information. Je parlerai évidemment juste après du début de campagne officieuse d’Emmanuel Macron, hier, dans un petit village français, qui va justement dans ce sens de la proximité, de la réconciliation, de la reconstruction, de la renaissance, (attention, mot clé) et sur sa gymnastique sémantique, justement, qui lui permettra d’approcher un électorat encore perdu, entre la droite et l’extrême droite.
Ces derniers temps, avec la réouverture des terrasses, avec le déconfinement, le retour à la culture, les membres du gouvernement ont adopté cette politique de l’image, ont orienté leur communication de façon puérile pour les uns et ingénieuse pour les autres en se faisant passer pour des citoyens normaux sur des terrasses ensoleillées : Macron et Castex rue de Mirosmenil, Darmanin sirotant une bière sur le marché de Tourcoing le lendemain de l’agression d’une policière près de Nantes – mauvais timing, Bruno Lemaire lisant l’Equipe sur une terrasse parisienne… bref, un mélange de bonnes intentions et de maladresse déconcertante qui dessert cette stratégie de communication pour mieux servir ceux qui y réagissent, les opposants. Ou alors, c’est une stratégie parallèle.
Autre apparition médiatique qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux et moins dans les médias malgré la multiplication des titres, parce qu’une image vaut mille mots : la brochette Zemmour, Messiah, Villiers à la manifestation des policiers. C’était l’image que toute la droite conservatrice attendait, celle qui se cherche encore un candidat et qui rêve d’une alliance des ténors de cette droite. Gros coup de communication à partir d’une simple photo de ces trois hommes aux allures de Picky Blinders, photo sur laquelle plane toujours cette question : lequel ira ?
Et justement, le professionnel de la fausse campagne, du faux démarchage, de la fausse propagande mais de la vraie ascension, qui provoque un vrai bazar dans les sondages et insupporte vraiment le RN, ce n’est pas un politicien, c’est un chroniqueur.
Ce qu’il faut également mesurer dans la stratégie de communication, ce sont les répercussions, les récupérations, c’est ce temps de réaction très court qui suit un événement, une photo, un message sur Twitter, etc. Vous avez certainement vu les campagnes gouvernementales sur comment limiter les risques de contagion, sur « oui ma coloc est lesbienne », etc… Tout ça a fait le bonheur des camps adverses. L’actualité aussi joue énormément, on subit des attaques à répétition, des agressions mortelles, des faits divers sordides qui fusent dans la presse… le RN n’a même pas besoin de réagir. Parce que dans l’inconscient collectif, le lien se fait automatiquement. Et Marine Le Pen n’est plus seulement l’alternative, elle devient la solution. Et ce qui permit jadis de la diaboliser la sanctifie aujourd’hui, parce que les événements lui sont favorables, lui donnent raison, et donc, la hissent vers une potentielle victoire.
Il y aussi la notion de temps. Le temps long et le temps court. En politique, on parle plutôt de temps long, à moins d’être confronté à une situation urgente. En communication, on devrait penser au temps long, mais on agit en temps court. C’est la victoire de l’impulsivité sur l’anticipation, en quelque sortes. Parce que, encore une fois, on sévit sur des réseaux sociaux qui vont très vite, avec une attente permanente, il faut chopper les like le plus rapidement possible, être au courant de tout en temps réel et bombarder. Être hyper réactif. Certains peuvent s’en démunir, leur notoriété étant déjà acquise. D’autres sont obligés de prendre la moindre vaguelette pour exister.
Je reviens donc à ce que je disais tout à l’heure, ce besoin nouveau de retour au contact, à la réalité, auquel vient de répondre Emmanuel Macron en entamant son tour de France pour prendre « le pouls des Français », et renouer avec les regards, avec l’authenticité des rencontres, des échanges, avec la vérité, au fond… qui a été mise à rude épreuve ces deux dernières années.
Après Saint Cirq Lapopie, Emmanuel Macron fera donc une dizaine de déplacements de ce type pour renouer avec la ruralité et les racines de l’histoire de France. La force d’Emmanuel Macron, c’est qu’il apparaît souvent là où on l’attend le moins.
L’inconvénient, qui pour lui est une chance, c’est que les Français ont souvent fait preuve de troubles de la mémoire, et c’est là que le concept de temps court et de temps long est intéressant. Un bon politicien est un visionnaire. Il anticipe, il prépare l’après, il conditionne son électorat. Un novice ou un Manuel Valls, lui, va compter sur le temps court, sur les événements présents et sera donc toujours en retard ou du moins, jamais en avance. Alors même si Emmanuel Macron a, pour une grande partie des Français, détruit le pays, socialement, culturellement, moralement, économiquement à l’échelle des hommes, il sera au second tour de l’élection présidentielle. D’une part parce que son adversaire, pour l’instant, fait encore trop peur ou n’est pas suffisamment crédible… et d’autre part parce qu’il va orienter sa campagne présidentielle de façon à ce que les Français oublient le désastre 2020-2021. Il a déjà le mot clé, Renaissance, et vous verrez, il parlera de valeurs, il parlera de reconstruction, il parlera de nos racines, il parlera même peut-être de fierté, de souveraineté, de résistance, il emploiera le lexique de cette vague conservatrice, il séduira, et en incluant ces mots à travers les réseaux sociaux et la presse, en les tamponnant dans la tête des Français, il retrouvera une partie de son électorat.
Maud PROTAT-KOFFLER
