Quai de Bourbon, le 12 novembre 2018
Il replie Le Monde en quatre et le pose sur une pile de livres. « J’ai toujours aimé la presse et les journaux, écrit-il dans Coups et Blessures, le contact magique avec le papier qui vous met en prise directe avec le monde entier et permet de le mieux comprendre. » Il regrette cependant le conformisme des titres et le manque d’originalité des thèmes abordés.
C’est étrange comme le temps s’empare de ce lieu, comme si, chaque jour, un nouveau parfum réchauffait ces murs glacés, comme si les œuvres avaient vécu, comme si chacune de nos rencontres ravivait les âmes chassées de ce monde, changeant les heures en une délicieuse éternité pour apprivoiser la tourmente de cette absence qu’évoque parfois Roland. Rien ne bouge, et tout change. Son pied romain dans lequel sont rangés crayons, stylos et autres ustensiles de travail, est bien là, à côté d’un encrier vide et de quelques cartes vierges. A sa droite, un dictaphone est posé sur un carnet fermé duquel dépasse un ruban rouge. Derrière lui, quelques souvenirs, photos, esquisses et autres gravures côtoient la machine à café Nespresso et les tasses en désordre, sur une commode en verre. De ce Rocabar d’Hermès à ces volets toujours ouverts, de ces murs de pierre à ce fauteuil Empire, rien n’a changé depuis la dernière fois. Rien, à part le temps. Celui que nous rattrapons sans effort dans des conversations fleuve, ce temps étranger que l’on tutoie et celui dont on se lasse, ce temps présent. J’ai 100 trains de retard sur son histoire, 100 de moins sur les dessous de son siècle politique. De ces noms illustres à ces noms inconnus, de ces politiciens, de ces artistes, de ces maîtresses ; de ces théorèmes diplomatiques qui ne me disent rien, de ces références obscures aux idées pourtant claires… Le temps nous éloigne de quelques décennies, de quelques guerres et d’au moins 6 mandats présidentiels !
Ce jour-là, Roland porte un col roulé noir. Il a perdu quelques kilos et s’est remis à marcher : « Déshabillez-vous, mais raisonnablement bien-sûr. » J’ôte mon manteau. L’audience est ouverte.
Les projets et ceux des autres
Roland vient d’apprendre que « le président Giscard d’Estaing » a écrit un livre. En même temps que Robert Badinter qui lui a d’ailleurs demandé de rédiger un commentaire pour Le Monde. Et alors ? « Alors j’ai dit oui. Si je refuse, on va dire que c’est la vieille rivalité entre Dumas et Badinter, ils sont jaloux l’un de l’autre… »
« Tout le monde me dit que je devrais écrire davantage sur ma vie… Mais j’ai perdu cette faculté de concentration. »
Les commémorations du 11 novembre
« C’était pas mal« , me dit-il. C’était européen, lui rétorqué-je. « C’était universel », se défend-il. On a juste manqué l’hommage national, Roland. « Vous n’êtes pas très universaliste… mais ça va passer », m’assure-t-il. Mais j’insiste : 1 500 000 morts. « Oui, et au nom de quoi, demande Dumas. Quand on voit l’imbécilité de l’attentat de Sarajevo qui a mis le feu aux poudres… Ils ne savaient même pas manipuler leurs charrues ! » Là, d’accord.
Un très bon ami
« Il y avait une blague qu’on se racontait avec Mitterrand, dans la politique. On parlait de quelqu’un et dans la conversation, on disait : c’est un bon ami, un très bon ami, mais enfin il faut nuancer, il a quelques défaillances, quand même… Ensuite, on disait qu’il manquait de parole, par exemple. Et ça continuait comme ça ; à la fin, on disait que c’était le dernier des salauds ! »
Justement !
Vous connaissez Frédéric Mitterrand ? « Oui, je le connais bien… c’est un bon ami ! »
Tutorat
« J’ai réfléchi un petit peu à vos problèmes, au fond, vous n’êtes pas vous-même. Vous aspirez à l’être, mais vous ne l’êtes pas. Il faut que vous vous recherchiez vous-même. L’important, c’est ce que vous avez dans la tête, c’est ce que vous pensez, pas ce que les autres pensent. Vous êtes en recherche, vous ne pouvez pas l’éviter. Mais vous vous apercevrez que ce n’est pas aussi difficile que ça en a l’air. »
Fabrice Luchini
« Il a les capacités d’entrer à l’Académie Française. Il n’est pas très équilibré mais il a des fulgurances… » Roland admire Fabrice Luchini. Un temps, il allait à tous ses spectacles. Un soir, après sa représentation, ils étaient allés dîner au restaurant. « D’un seul coup, il se lève de table, il se promène dans la salle et il improvise. » De numéros en récitals, Luchini se produit ainsi pendant une heure. « Il s’embraye et il enchaîne… » Comme sur scène, on sait quand ça commence, on ne sait jamais quand ça se termine… Entre générosité et décadence, le curseur devient fou. « En même temps, il est très simple, il connaît son personnage. »
Maître Christian Charrière
Lui aussi vous réciterait des pièces entières. Selon Roland, cette culture lui vient de son père, avocat de Limoges – « un emmerdeur, ce sont les avocats de province… » – qui, n’arrivant pas à lui faire faire grand-chose, l’avait « foutu dans une boîte avec des curés et des livres. » Roland souhaiterait que je le rencontre. « C’est le genre de type qui, par la force des choses, est un peu factice, parce qu’il a fait ce que voulaient ses parents, puis il est entré au barreau… C’est sans doute un peu banal dans un milieu très BCBG, mais on le lançait sur un vers de Victor Hugo et il enchaînait, c’était incroyable. Je pense à lui souvent quand je vous vois. »
Marlène Schiappa
On aurait pu s’étendre à bras ballants sur le féminisme. On aurait pu accompagner Roland au banc des accusés, coupable d’avoir tant aimé les femmes. On aurait pu dire que Marlène Schiappa accomplit un travail remarquable dans sa lutte contre le sexisme, le machisme et les inégalités salariales, par exemple… On aurait pu considérer la légitimité et, quelque part, la grandeur morale de son action. On a préféré passer : « Elle ne défend personne, elle se défend elle-même. »
Zemmour
« J’ai beaucoup d’admiration pour lui. Il a une gymnastique d’esprit qui est intéressante. Puis il défend bien ses idées ! » C’est même ce qu’on lui reproche. « Je l’ai vu évoluer, j’aime les gens qui ont du courage et qui le payent pour ça. J’ai bien senti le caractère exagéré de son argumentation mais tout n’est pas à rejeter. Il sait beaucoup de choses. »
Les journalistes de l’affaire Elf
« J’avais quelques amis, quand même. Mais beaucoup se sont comportés comme des salauds. Ils fouillaient partout, ils cherchaient sans cesse le contact. J’ai dû en chasser, certains faisaient le pied de grue devant chez moi. Le matin, quand j’ouvrais la fenêtre, j’entendais le clac des photographes. C’est aussi dans ces situations qu’on s’aperçoit qu’on n’a pas autant d’amis. Quand les choses craquent, comme ça, on ne peut quasiment compter que sur les femmes qui, elles, sont très courageuses. » Roland admet que la fonction politique oblige à la vie publique et qu’on n’échappe pas à ce que l’on est. Au lycée, il répondait déjà à ses camarades qu’il voulait devenir président de la République. Pourtant, l’opportunité ne s’est jamais tout à fait présentée à lui. De toute façon, il ne se voyait pas vivre comme Mitterrand, c’est-à-dire tout abandonner au profit de la politique seulement. « Il ne faisait que ça. »
Maud, ministre des Armées
« Et vous, vous ne voulez pas vous lancer ? A l’Etat-Major ! Allez, je vais vous driver ! »
Le mariage de Roland
« Je me suis marié pour avoir des enfants. Je voyais passer les années, j’avais peur de devenir un vieux con, alors je me suis marié un peu tard. Elle avait 16 ans. Mitterrand m’avait dit que ce n’était pas sérieux, mais je lui ai répondu que j’étais amoureux. J’ai eu 3 enfants avec la même femme, et il n’y a pas eu de tricherie. Et pourtant, je n’avais pas un passé prodigieux ! »
Un socialiste à la messe
« Quand on allait à la messe avec ma mère, j’avais repéré un truc… A la fin de l’office, il y avait la quête. Et au lieu de mettre de l’argent, j’en prenais. Vous voyez, je n’ai pas un passé prodigieux ! » Vous avez rendu l’argent ? « Jamais ! »

Bon jour,
J’aime cette conduite de la narration …
Max-Louis
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