Je veux vous revoir…

Je veux revoir votre visage, Madame, sous la tonnelle d’un tabac. Vous qui rendiez le regard des hommes tellement imprudent, tellement fragile, parfois tragique, lorsque sous ce vieux guéridon, vous faisiez danser vos jambes.

Je veux revoir votre sourire, Monsieur. Relire le titre de ce fameux roman que vous n’avez jamais achevé – peut-être même ne l’avez-vous jamais commencé – et délivrer tous ces aveux emprisonnés dans les miroirs de ce Café.

Je veux revoir votre doigt glisser sur la carte du Flore, Mademoiselle, et votre œil pécher au chapitre des desserts. Je veux lire dans vos gestes, appliqués et maladroits, la moindre passion, le moindre étonnement, la moindre fracture qui justifierait votre extravagance ou absoudrait vos mauvais goûts. Je veux que vous m’inspiriez le moindre doute, le moindre mot, le moindre sentiment, et cette irrésistible envie de vivre et de revivre là où le temps n’a pas d’effets.

Je veux, Monsieur, vous voir m’offrir ce verre à une heure encore plus indécente dans un langage qui n’appartient presque qu’à vous, et vous quitter comme nous nous sommes rencontrés, anonymes.

Je veux siéger au parlement du peuple balzacien, à 7h, entre les tartines de beurre et la palette de porc, là où tout se joue, là où tout se pense, là où Audiard sévit encore.

Je veux commander une tisane à 19h au Carrousel, être moquée – à raison – par le patron, parier une vodka le lendemain matin et me ruiner en petits noirs toute la journée.

Je veux sentir l’odeur du café froid et du papier journal, chercher la monnaie manquante au fond de mes poches et réaliser qu’un inconnu a tout réglé.

Je veux revoir mon pays.

Je veux réécrire sur des coins de tables en bois ou sur les courbes d’un guéridon sous lequel vous faisiez danser vos jambes… Et pousser la porte du Select, vous heurter par accident, m’accrocher à votre regard quelques instants puis le laisser s’envoler, peut-être pour toujours…

Je voudrais vous recroiser, Monsieur, vous reconnaître, Madame. Je voudrais vous écrire, vous romancer. Et croire que vous vous souvenez aussi de tous ces moments anodins cueillis à la marge du temps dans ces troquets vieillots et ces brasseries de luxe rendues à l’occupant depuis le mois d’octobre.

Maud Koffler

Crédits image : MK

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