Dixième lettre : « A l’impossible nul n’est tenu que par le fil de la raison »

Mon cher ami,

A l’impossible nul n’est tenu que par le fil de la raison, cette laine d’acier qui suture les plaies impansables du cœur quand l’amour n’est plus d’aucun secours. Il suffirait de tirer dessus, de desceller ce lien pour que plus rien ne me retienne de vous aimer, de vous revoir, de reprendre cette merveilleuse voie de chemin de fer bornée de sentiments inavouables, de traverser cette gare en partageant votre impatience, puis de vous apercevoir, enfin, côtoyant ce monde affreux dans un halo presque christique, comme si pour la seconde fois la France se fit homme, comme si cet instant pieusement rêvé eut plus d’échos qu’une prière, opposant définitivement à la dévotion ronflante, l’amour révolté. Ces liens censés nous retenir quand la passion nous entraîne vers l’abîme – sans distinction avec celle qui nous hisse vers l’absolu, valent le bâillon qu’on nous coud aux lèvres depuis plusieurs mois, qui nous irrite et nous rend las. Je m’y soumets au grand jour, mais quand vient la nuit, je détache furieusement ces liens pour vous écrire. Et je vous revois à cette table, lisant ces mots audacieux gribouillés dans un carnet, ému par cinq d’entre eux, surpris par les derniers dont à défaut d’être l’auteur, vous deveniez l’égérie.

Mon cher ami… Je ne parviens pas à chasser votre image de ma mémoire. Mais il est une chose plus grave encore, c’est que je ne parviens pas à la chasser de demain, d’après-demain et des jours suivants. Ce que le cœur refuse au présent se conjugue en tout temps. Vous êtes mon fardeau et mon bonheur. Ma tendre douleur, ma plaie tranquille et le fanion de cet amour corrompu par la distance et par le temps, auprès duquel je dépose mon âme, sans trêve. Je nous imagine pourtant debout, comme deux amants impuissants, transpercés par les heures sur un champ de bataille où s’écrit le déclin de la France. Nous sommes là, au milieu de cette guerre qui nous dépasse, de cette tragédie qui nous emporte, de ce brasier qui nous encercle et de cette France qui s’en va à force de voir éclore des roses sous une pluie de bombes.Ce sont ces passions et ces rages qui nous unissent depuis toujours – ce toujours d’un millième de siècle. Et dans cette asphyxie, malgré tout, vous m’offrez votre souffle.

Cette fois, je n’emprunterai de mots à personne pour vous dire ce qu’en prose je n’ai su vous conter. Cueillez donc ce bouquet de vers immortels et déposez-le sur l’autel de notre histoire.

J’étais cette note que l’on frôle à l’archet,

Suspendue aux soupirs d’une valse nocturne

Au milieu de ces hêtres sur l’eau qui dansait,

Revêtue d’une robe aux couleurs de la Lune.

Le silence alentour convoquait les échos

Des amants condamnés au trépas de leurs rêves.

Les reflets seulement s’éteignaient sur les flots

Et leurs cœurs naufragés s’étendaient sur la grève.

Vous contiez en arpèges les douleurs du temps

Et la nuit répondait de ce siècle lointain…

J’apprendrai le solfège des mots insolents,

Je dirai mon amour pour vous garder enfin.

J’embaumerai le ciel de ces parfums d’hiver,

De cet hymne joué aux forêts endormies,

De l’écume, du vent, de ces notes légères,

Je cueillerai l’amour jusqu’au seuil de ma vie.

J’étais cette note, vous m’avez oubliée,

Suspendue aux soupirs d’une valse rompue

Au milieu de ces êtres, un doux soir d’été,

Dans cet écrin de feu, nous nous sommes perdus…

M.

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