Neuvième lettre : « Pour ne pas vous mentir, je me suis souvent tue »

Mon cher ami,

Quel triste mariage que celui des roses et du temps. Épineux destin d’un amour impuissant… Je redoutais ses parfums, je pensais les semer. Je craignais cette ivresse comme un cœur écorché qui se perd en éclats passionnels et se rompt à coups de foudre. J’ai tenté de fuir par la porte du doute : ce n’était qu’une alcôve et vous m’y avez trouvée. Vous m’avez suivie jusque dans les catacombes du cœur. Alors voici peut-être les premières lignes d’un spleen arrachées au serment de la résignation. Oh, vous pourrez toujours railler ma peine si vous l’estimez imbécile. Mais vous commencez à me connaître…

Je feuilletais hier soir le recueil virtuel d’un poète aux élans de martyr amoureux, François Coppée. « Vers le passé », d’abord, puis « Lettre » et « Chanson d’exil ». Il porte la plume à la plaie du cœur et je suis certaine qu’ils vous toucheront. Au fond, ses vers pleins d’espoirs insatiables sont un peu les miens. A la différence, je crois, que lui ne justifie pas sa détresse au passé antérieur. Ce temps valise dans lequel se rangent si aisément les choses qu’on aurait dû faire. Qu’on aurait dû dire. Ce sont les mots endormis de Duteil, ces phrases emprisonnées dans des yeux qui s’appellent, et que pas un baiser ne referme ou ne scelle…

Pour ne pas vous mentir, je me suis souvent tue. Pour ne rien vous cacher, je me suis révélée, un peu. Mais pour ne rien vous promettre, je me suis envolée. Que voulez-vous… Je me suis convertie au culte du vide lorsque je croyais aimer Dieu. J’ai épousé le tissu terni d’un pays qui ne m’appartient plus, mais dont je ne cesserai jamais de raviver la braise suffocante. Je ne connais pas la raison de cette unique constance. J’ai trompé mes vertus pour épouser l’indécence. J’ai brisé froidement tant d’espoirs en voulant me protéger… et neutralisé tant de cœurs en pensant les aimer. J’ai en moi plus de regrets que d’envies, plus d’impertinence que de sagesse, plus de rêves que d’ambitions, plus de rage que d’espérance… Vous le savez. Vous l’avez lu et si tôt deviné. Et malgré cela, vous voilà épris. Et malgré cela, vous m’avez éprise.

Chère enfant, qu’avant tout vos volontés soient faites !
Mais, comme on trouve un nid rempli d’œufs de fauvettes,
Vous avez ramassé mon cœur sur le chemin.

Si de l’anéantir vous aviez le caprice,
Vous n’auriez qu’à fermer brusquement votre main,
— Mais vous ne voudrez pas, j’en suis sûr, qu’il périsse !

Toute tragédie se nourrit de grandeur. Toute rose fane, et renaît, et re-meurt. Je ne peux que vous offrir ces points de suspension versifiés… et un bouquet d’étoiles pour faire briller vos nuits. Je formule enfin le souhait qu’un jour, le droit au bonheur dont vous me parliez hier devienne le devoir de celui qui s’en moque.

Fidèlement,

M.

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