Huitième lettre : « Je vous adresse des lettres pour vous parler d’un pays comme on parlerait d’amour. »

Mon cher ami,

Tandis que certains virent fleurir le printemps dans l’interstice d’un volet clos, n’ayant pour soleil qu’une lampe allumée, que verrons-nous à présent de cet hiver qui abandonne déjà ses parures automnales en regardant passer le fiacre morbide des cas damnés… ?

L’automne s’inclinait hier dans les allées de ce cimetière, caressant parfois les noms effacés au grand dam du souvenir, bannis de cette tendre éternité et rendus aux sarcasmes de l’oubli. Tout était d’or, pourtant. Les feuilles descendaient en valses sur ces pierres fragiles. Le ciel se paraît de franges ambrées. Le vent soufflait ces mots pudiques que l’on tait en regardant le sol inhabité. Et derrière cette colonne d’arbres austères passait une diligence d’ombres navrées. Au fond, la tragédie du temps semblait avoir trouvé son hymne. Un requiem éphémère orchestré par la paresse de la gaieté. Ce ne pouvait être l’œuvre de Dieu, il ne sait pas chanter.

Un jour, mon aumônier m’a dit ceci : « La vérité n’est ni à droite, ni à gauche, elle est toujours plus haut… » Il m’a fallu quelques années pour gravir ces hauteurs, quitter le linceul du Christ, poser un pied sur l’épaule du Père et franchir ces cieux apocryphes. Il m’a fallu du temps pour quitter ce mysticisme confortable, cette religiosité culpabilisante, et m’agripper par la force de l’esprit à cette spiritualité qui n’exige ni soumission, ni crainte… juste la dévotion d’un cœur fécond. Cette spiritualité n’a pas de nom, pas de doctrine, pas de but, pas de dieu. Une patrie, seulement. C’est une inspiration qui justifie les mots et les ferveurs. Qui anoblit les rêves et pousse la plume aux excès.

Je vis pourtant avec le sentiment du devoir inaccompli et de la phrase inachevée. Je vous adresse des lettres pour vous parler d’un pays comme on parlerait d’amour. Mais je ne consacre le courage des mots qu’à cette passion extravagante. Qu’à ce patriotisme désespéré. Je m’échappe constamment et ne jette l’encre que sur le papier. C’est pour tout cela que je crains de ne pas être capable d’aimer.

Demain, je m’accrocherai à votre regard. A ce morceau d’éternité. Ne le laissez pas s’emplir d’incertitudes. Ne le laissez pas passer.

Votre dévouée,

M.

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