Septième lettre : « Je ne veux pas d’un pouvoir sans autorité, ni d’une autorité sans pouvoir. »

Mon cher ami,

Craindre la seconde vague, craindre pour sa vie, craindre pour son travail, craindre pour ses proches, craindre le manque, craindre la solitude, craindre la pénurie… Craindre de ne pas être capable d’affronter ce temps qu’on nous dérobe, craindre de le perdre à ne pas savoir qu’en faire, craindre d’en oublier la notion et craindre, à force de le haïr, de ne plus être capable que de le tuer.

Nous avons tous des choses à craindre de cette épidémie. Moi, ce que je crains, c’est justement de vivre avec cette peur au corps. De me méfier de tout, de tout le monde, de mes propres mains, et de trouver le reste sale. De m’habituer à l’isolement et de détester les autres. De tout envoyer paître et de manquer ma vie. On se découvre de drôles de fragilités.

Je n’ai jamais pris parti pour quiconque. Les cliques Raoult, Macron, complotistes, hauts sachants, faux prophètes et compagnie nuisent à la sérénité du peuple et c’est à cause de ces piaffeurs, de tous ces gens qui ont raison, de tous ces inconnus qui parlent et écrivent au nom de la liberté d’opinion, que ce monde, bâti sur l’ignorance, s’écroule, fond sous nos yeux, brûle, explose et disparaît non pas dans un fracas apocalyptique, mais dans ces trois mots que je trouve désormais si vulgaires : moi, je sais.

Depuis des mois, la politique des hommes et la politique des mots n’ont plus aucun pouvoir, aucun sens, aucune direction. Ce langage et ce sacerdoce devaient nous protéger. Et ils ne savent même plus en profiter. Le monde court plus vite qu’eux. C’est la différence entre le temps long auquel nous ne prêtons pas attention et le temps court après lequel nous nous essoufflons. Un tapis de salle sur une piste d’athlétisme. Et pourtant, ils savent.

Comme vous, je ne suis pas une révolutionnaire. Je ne porte pas de gilet jaune. Je respecte les règles sanitaires et j’oublie même de retirer mon masque à table. Je ne me considère pas plus comme un mouton que comme une conscience libre. Mais je ne supporte pas la tiédeur. Je ne digère pas l’inconstance de l’engagement et l’indifférence de ceux qui nous gouvernent. Je ne veux pas d’un pouvoir sans autorité, ni d’une autorité sans pouvoir. Je vis mal la soumission de nos institutions et l’abandon de nos entrepreneurs et de tous ces corps de métiers que nous chérissons une fois par an au salon de l’agriculture ou sur un coup de tête, au gré de l’actualité. Je n’aime pas cet esprit à moitié fraternel quand ça nous chante, à moitié individualiste quand ça nous arrange. Et ça nous arrange plus souvent que ça nous chante.

J’en ai marre de tout ce militantisme inactif autour de l’écologie, de cette bonne conscience qui rencontre la morale et accouche d’une idéologie sectaire devant laquelle on devrait se coucher si on ne montre pas patte rouge. C’est lassant, tout ça. C’est démoralisant. Comme si le monde nous attendait.

Je n’attends que vous, autant que je vous aime.

M.

Laisser un commentaire