Lorrain de Saint Affrique, l’homme d’honneur

« Vous ne connaissez pas l’histoire de la maison ? » Montretout, 27 avril 2019. Au bout d’une allée familière balayée par quelques rafales de saison, nichée sous une épaisse couverture végétale, apparaît la plus célèbre demeure de Saint-Cloud. Le grand 8, l’empire. L’enfer, paraît-il. L’un des dobermans veille tranquillement au pas de la grille. Lorsque le portail s’ouvre, l’histoire s’impose en majesté. Un homme en est aujourd’hui le garant : Lorrain de Saint-Affrique. Entre ses mains, les clés d’un mythe.

Si Montretout m’était conté

« Le premier étage est fermé », regrette-t-il. Jean-Marie Le Pen ne vit plus ici depuis 25 ans. Il réside chez son épouse, Jany, à Rueil-Malmaison. Sa fille, Yann, habite au deuxième étage.

Le domaine fut providentiellement légué à Jean-Marie Le Pen en 1976, par son ami Hubert Lambert. Construit aux abords du château de Saint-Cloud en 1830 à la demande Napoléon III, le Pavillon de l’Ecuyer avait initialement été offert à son chef de cabinet, Jean-François Mocquard, avant de devenir, selon les mots d’Olivier Beaumont, « un gigantesque lupanar ». Le président de la République en avait fait une sorte de garçonnière impériale où se succédaient secrètement ses conquêtes.

En 1961, le général de Gaulle envisage de se rendre au château de Saint-Cloud en passant par le domaine de l’écrivain qui dispose d’une porte communicante. Lorsque le cabinet du président soumet cette requête à Lambert, ce dernier répond explicitement : « S’il passe, je tire. » Le général emprunte finalement un autre chemin. En représailles, la porte fut définitivement murée.

Au gré des pièces, Lorrain de Saint Affrique se conduit en éminent historien. Le corsaire est quant à lui bel et bien là, blanche hermine à l’épaule, telle une sentinelle plantée sur une commode. Cette toile porte la signature d’Alexandre Barbera-Ivanoff, un ami de Jean-Marie Le Pen. Unique extravagance notable.

Il suffit ensuite de suivre les effluves de cigarette pour atteindre le bureau de Lorrain de Saint Affrique. C’est une pièce claire arborant un décor épuré, sobre et lumineuse, dont un mur revêt une affiche de campagne, celle de 1988. Le panneau du comité « Jeanne, au secours » évoque le traditionnel dépôt de gerbe aux solerets de Jeanne d’Arc qui aura lieu dans quatre jours.

L’ombre du menhir

Voilà bientôt quatre ans que Lorrain de Saint Affrique s’est remis au service de Jean-Marie Le Pen. Homme de l’ombre et ombre de l’homme qui l’avait évincé en 1994, ce personnage appartient aujourd’hui davantage aux pierres ancestrales qu’aux meubles défraîchis. Enigmatique mais grande gueule, discret et partout à la fois, dans cet habit noir cousu d’intrigues, Lorrain de Saint-Affrique est peut-être le dernier grand témoin de cette dynastie familiale, politique et romanesque. Il participe justement à la réalisation du deuxième tome des mémoires de Jean-Marie Le Pen. Un travail d’archivage titanesque, plus subtil encore que le premier puisqu’il comprendra le fameux et compromettant détail de l’histoire.

Entre deux quinzaines de jours, Lorrain de Saint Affrique se retire brièvement chez lui. Mais son téléphone, réglé en tonalité maximum, le tient continuellement en alerte. Le devoir ne connaît aucun répit. Quant à savoir ce qu’il adviendra après Le Pen, « ça n’existe pas », dit-il. Du moins, « je n’y pense pas tout le temps. » L’année dernière, à l’orée de ses 90 ans, Jean-Marie Le Pen avait essuyé de longues semaines d’hospitalisation. Sa convalescence – selon ses propres mots – n’a pourtant pas altéré ses projets puisque dans la continuité de ses mémoires devrait éclore sa fondation qui permettra d’accéder à la quasi-totalité de ses archives depuis 1976. Des discours, des procès, des correspondances et des dizaines de milliers de clichés seront ainsi diffusés sur un portail internet.

L’après Le Pen, c’est aussi l’héritage familial. En un tableau grossier, pour le moment, Marine Le Pen semble souffler sur les voiles tandis que Marion Maréchal arme les canons et qu’Olympe, sa fille, se hisse déjà au nid-de-pie. Quant à savoir qui tient le gouvernail… « Olympe, c’est la synthèse de tout, elle a 6 ans mais elle a déjà un sacré caractère », dit-il en souriant. Jean-Marie Le Pen a d’ailleurs décidé de tenir jusqu’à 103 ans pour assister à son élection, « à condition qu’il y ait des législatives à ce moment-là, quitte à les provoquer ou à faire un coup d’Etat militaire ! »

Jean-Marie Le Pen, classé monument historique

Le paquet de cigarette est bientôt vide, le cendrier est bien trop plein. En deux heures, le narrateur de Montretout a carburé et n’a pas non plus été avare d’anecdotes historiques aussi fascinantes qu’inattendues. A la question du « que restera-t-il ? », si la réponse demeure encore incertaine, Lorrain de Saint Affrique est aujourd’hui résolu à faire perdurer son œuvre. Un détail de l’histoire de France, peut-être, mais dont le nom n’en connaîtra sans doute jamais l’abîme.

Maud PROTAT-KOFFLER

Laisser un commentaire