Bonsoir, monsieur le Président

Hier, les Français avaient rendez-vous avec un homme. « L’avez-vous déjà rencontré ? », se demandaient-ils entre eux. « Non, mais lui est venu à la rencontre de toutes les générations », pensais-je alors.

J’aurais aimé enregistrer toutes ces conversations, tous ces éloges spontanés et ces espoirs révélés dans une unanimité percutante. « C’était un grand menteur, mais il était le seul à nous aimer »… Qu’elle était loin, la Comédie humaine. Les querelles sociales, les disputes de comptoir et les jets de pavés. On ne faisait pas non plus semblant de bien s’entendre. On s’entendait. Mieux : on s’écoutait. On attendait de l’autre qu’il nous raconte une anecdote et lorsqu’on voyait le temps passer, l’un de nous saisissait un court silence pour déclarer : « c’est loin mais c’est beau ! »

Crédit : Maud PROTAT-KOFFLER

Les heures défilent et tandis que le jour baisse, la foule se fait de plus en plus compacte. Elle laisse enfin s’échapper quelques éclats de rire, on se tape dans le dos, on se découvre, on échange des sourires, des regards profonds, on se comprend, on s’impatiente ensemble.

Pendant six heures ininterrompues, nous évoquons la vie de cet homme. Ces dames le trouvent tellement séduisant qu’elles lui auraient pardonné toutes ses infidélités. « Ça me rappelle une phrase de Chirac, interrompt un garçon. Lorsqu’on lui demandait ce qu’il regardait en premier chez une femme, il répondait : je regarde d’abord la mienne, qu’elle ne me surveille pas. » Ces messieurs rêveraient de l’avoir à leur table. Ils regrettent d’ailleurs de ne pas avoir anticipé l’attente avec quelques bières et tranches de saucisson sec. « C’est bien français, ça, il aurait aimé ! »

Nous sommes des milliers. En atteignant le bout de la file qui grandit encore, le découragement se transforme en une force émotive commune. Les conversations s’entremêlent. « Qui pourrait mériter un tel élan populaire, aujourd’hui, à part Johnny et Chirac », se demande t-on. « Delon », suggère une femme. « Sardou », espère un jeune homme. « En tout cas, ni Hollande, ni Sarkozy, ni Macron ne nous feront attendre plus de 5h » concluent-ils. Un vieil homme se tenant sur une canne nous écoute bavarder depuis la première heure. Il est petit, porte un chapeau, une cravate, et une chemise blanche sous un long manteau gris. Ses yeux sont clairs, son sourire farceur et sa voix légère. Il ne parle pas beaucoup. Mais sa présence, au fond, nous réconforte. Dans l’allée qui joint la rue de Grenelle et l’avenue de la Motte Piquet, entre la foule et le petit parc, des enfants jouent. Une femme marche en lisant les dernières pages de son livre. Un monsieur, en s’étirant, manque de percuter un autre homme qui, au lieu de s’agacer, prend de ses nouvelles. Le tissu social. JC avait raison de nous montrer l’exemple : aimez-vous les uns les autres, dressez une table, tirez les chaises, coupez le saucisson, serrez les rangs, débouchonnez, versez, trinquez ! On ne trahit pas ses initiales.

Le peuple a soif de tout ça. De se retrouver n’importe où, dans un bistrot ou dans une file d’attente. D’aller à la rencontre d’un homme qui les aime et qui les incarne. Les Français ont besoin d’un père. Et ce sont ces milliers d’orphelins qui attendaient hier après-midi devant la grille des Invalides, jusqu’au soir, jusqu’à ce matin. Dans la cour, sa voix nous était si familière. Nous marchions vers lui non comme un cortège funèbre mais comme un peuple épris. Nous nous réduisions progressivement au silence. Il ne faisait pas encore tout à fait nuit. La pluie, elle, nous attaquait, soutenue par de violentes bourrasques. Nous nous tenions les uns aux autres en riant de fatigue et de hâte, trempés. Les parapluies ne ressemblaient plus à rien. « C’est du made in China », se moquait une Cambodgienne. Puis, plus rien. Plus une goutte. Le bruit des pas devient lui-même imperceptible. Il n’y a que celui des drapés tricolores qui ornent l’entrée de la cathédrale St Louis, et le chuchotement des militaires qui nous accueillent.

« Vous pouvez y aller. »

Bonsoir monsieur le Président.

Crédit : Maud PROTAT-KOFFLER

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