La France est au Puy du Fou

La serveuse de l’Auberge nous conduit à l’espace privé où Philippe de Villiers a fait dresser une table. Il est 18h50. Nous franchissons l’entrée interdite et découvrons un lieu retiré du monde, au milieu d’arbres dansants, derrière une chaumière fumante d’où s’échappent les premières émanations du dîner.
Dans l’interstice des rondins de bois apparaît un baroudeur à la démarche légère, silencieuse. Le patriarche est là, admirable dans son royaume d’enfant, habillé simplement, chaleureux et impatient. Le rosé nous est servi par l’hôtesse mais Philippe de Villiers ne résiste pas à l’amertume du pastis. Des bouchées locales accompagnent l’apéritif. « Goûtez, c’est excellent, ce sont des spécialités vendéennes ! » L’entretien commence.
Ce lieu de mémoire vivante, comme il aime à le rappeler, c’est sa religion, dit-il. Très tôt, Philippe de Villiers se sent investi d’une mission profonde, mémorielle et identitaire, celle de rendre aux Vendéens la fierté et la légitimité de l’histoire qu’ils avaient écrite dans les larmes, le sang et l’injustice. Écrire un hymne. Au fil des ans, pierre par pierre, le Puy du Fou prend vie. Et de persévérance en revanches intimes, naît d’une ruine le plus haut lieu de mémoire de Vendée, de France, d’Europe et du monde.

« Un château dans les ruines se souvient maintenant
Des bouquets d’églantines, des chevaux frissonnants ;
Quelques peintres se dessinent au bout d’un drapeau blanc
La mémoire orpheline d’un peuple de géants » – Didier Barbelivien, Le Puy du Fou

500 hectares plus tard, le parc se construit encore. Les visiteurs abondent du monde entier, l’hôtellerie se développe, les spectacles prennent une proportion surréaliste et les 2 500 bénévoles de la cinéscénie rejouent l’histoire de Vendée deux jours par semaine, dans un décor d’arbres, de ruines et de lumières, devant plus de 13 000 témoins ébahis. Philippe de Villiers en est l’auteur et pas un mot n’a changé depuis son écriture, il y a 40 ans. La légende vendéenne rend hommage au récit national. Écho sublime à l’espérance qui guida nos aînés à travers les temps. Et les Français s’y retrouvent. Quel que soit leur âge, en famille ou en groupe, ils viennent de villages, de bourgs, de villes, de Navarre, d’hier et d’aujourd’hui. Témoins de leur propre histoire et touristes sur leurs propres terres, « ce sont les tatoués de Johnny, les bobos de Paris », la France rurale et citadine, attablés à la même table, celle de la Madelon, partageant le même vin, celui des vignes d’Anjou. Nous sommes ici en 1900, la Belle Époque, 750 couverts sont dressés autour d’une scène où comédiens et serveurs rejouent et chantent cette histoire paillarde. À droite, un couple de Corréziens parle de son village, d’un adorable et pittoresque François Hollande, de la retraite de Monsieur, de la supérette de Madame. Lorsqu’on les interroge sur la désertification des campagnes et la décentralisation des commerces, ils nous parlent de courage et de conviction.

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Voici donc la France des profondeurs, des profondeurs identitaires. Celle qui parle de fierté sans honte, celle qui parle de patrie sans tabou. Celle qui râle quand on la bouscule, celle qui pleure quand on l’aime. Ils sont Normands, Bretons, Alsaciens, Bourguignons, Corses, Jurassiens… Ils sont du Nord, ils sont du Sud, ils ont 7 ans, ils ont 100 ans, ils sont de gauche, ils sont de droite, ils sont athées, ils sont croyants ! Mais s’ils n’ont pas leur pichet de vin, ils sont malheureux ! S’ils n’ont pas leur panier de pain, ils sont étrangers ! Et s’ils n’ont pas connaissance de leurs racines, ils sont perdus. Voici la France des profondeurs. Celle qui se regarde dans ces miroirs factices. Celle qui se déguise. Celle des nostalgiques, celle de ceux qui se résolvent à ne pas le devenir.
20h30, nous sommes en retard mais l’aubergiste l’avait anticipé. Nous nous dirigeons vers ce qui semble être la sellerie de l’Auberge pour dîner, tandis que Philippe de Villiers nous retrouvera à l’issue de la cinéscénie. De toute évidence, ce spectacle vaut tous les actes politiques du monde. C’est le poumon du Puy du Fou et la réplique de ce que devrait être la Nation.
Il est 22h. Nous avons été conduits par le responsable des jardins, Jérôme Vrignaud. Dans les coulisses, Henry, l’un des bénévoles, m’enveloppe dans une grande parka rouge. Dans les tribunes, 13 000 personnes attendent déjà leur histoire. Alors, quand les projecteurs s’éteignent, dévoilant les cieux encor clairs d’une nuit particulièrement étoilée, une flamme apparaît sur ce lointain rivage. Elle s’avance parmi les hêtres, se reflète dans l’eau, enfermée dans une lampe que porte un conteur au timbre de velours. C’est la voix de Jean Piat. C’est le texte de Philippe de Villiers. C’est le roman de la Vendée.
Le spectacle est remarquable, généreux, démesuré. Il conjugue chaque époque au présent dans une mise en scène incroyable. L’Histoire vibre, danse, chante, pleure, s’écroule et ressuscite devant une constellation de regards épris, graves et silencieux. Dieu que la France est belle lorsqu’elle nous parle d’amour.
À 23h40, le livre se referme sous un tonnerre d’applaudissements. Henry nous retrouve parmi les spectateurs, respectant nos yeux encore humides dans un silence ininterrompu jusqu’aux portes où de vagues réactions nous échappent, avant de conclure unanimement : « Le silence a déjà tout dit. » Il nous conduit au petit salon où nous attend Philippe de Villiers.
Enfant, il aurait pu se contenter de rêves insolents. Il aurait pu céder aux moqueries, aux affronts, aux injures. Il aurait pu laisser cela à plus grand, à plus fort, à moins « fascho », à moins catho. Il aurait pu succomber aux tentations pécuniaires, aux rachats idéologiques, aux chantages politiques. Il aurait pu se résoudre au mémoricide. Il a choisi d’écouter son coeur. De le faire battre au rythme de ses héros. Des nôtres. Philippe de Villiers a pris sa revanche en accomplissant ce qu’il avait promis à son père, écrire un hymne, pour l’amour de Dieu, de la Vendée et de la France.

Maud PROTAT-KOFFLER

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