PHOTO : Le lieutenant Jean-Marie Le Pen, engagé volontaire du 1er régiment étranger de parachutistes pendant la guerre d’Algérie (1954-1962). © Collection Particulière
(…) Connu et déprécié pour ses envolées colériques, ses déclarations incontrôlées et ses clameurs fiévreuses, Jean-Marie Le Pen s’illustre surtout par sa faculté d’improvisation. Pour parler sans papier, il faut selon lui avoir acquis une connaissance assez vaste. Ses années d’études au collège Jésuite ont amplement contribué à lui faire assimiler la nécessité de se cultiver et l’appréhension du monde qu’il percevait avec dureté : « On se levait à 5h30 l’été, 6h30 l’hiver. 4h de cours le matin, 3h l’après-midi, 2h d’étude le soir. Il y avait un sentiment d’émulation, de rivalité. Par trimestre, on apprenait 400 verbes français, 200 verbes latins, 100 verbes grecs. Edouard Herriot disait : la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. Oui, mais à condition d’avoir beaucoup appris ! Sinon, on est un esclave intellectuel. » Ni son père, ni son grand-père n’avaient été scolarisés. Ils étaient nés marins pêcheurs, comme lui. Son père s’est engagé à l’âge de 13 ans à bord d’un trois-mâts cap-hornier, en 1914. Il naviguait jusqu’au Chili, le bateau rempli de nitrate. Mainte fois torpillé, jamais coulé ; il est mort à la mer en percutant une mine.
Son grand-père avait 13 frères et sœurs. Tous travaillaient pour faire vivre le foyer, certains marins, d’autres bergers. Jean-Marie est quant à lui fils unique. « Je fais partie de cette génération d’entre les deux guerres où la France est morte. Elle ne le sait pas encore mais elle est morte. Il y a 50 ans, les populations exotiques avaient 20 enfants. 2 survivaient, 18 mourraient. Maintenant, il y en a 18 qui survivent et 2 qui meurent. » Il appelle ça « le pullulement mondial. » Un seul continent aux accents « boréals », de Vladivostok à Gibraltar, a toutefois une démographie négative où naissent moins de gens qu’il n’en meurt. En France, Jean-Marie Le Pen relève une infériorité des naissances pour la 4ème année consécutive, malgré la présence d’immigrés. « La femme française s’étant dotée d’une profession va d’abord se consacrer à celle-ci. Si elle a un coup de foudre pour Jules, elle va faire son premier enfant à 30 ans, le deuxième à 36 et après on arrête… Et ça, ce sont des gens qui ont des principes, sinon on n’en fait aucun », conclut-il.
« Alors, comme disait Lénine, que faire ? Qu’espérer… La vie commence toujours demain, après tout. »
Gérald Gérin, son assistant parlementaire, entre dans la pièce. Il vient de recevoir un faire-part pour les obsèques d’André Pertuzio qui auront lieu demain, mardi 22 janvier, en l’église Saint Sulpice. Jean-Marie Le Pen ne peut évidemment pas s’y dérober, ce fut l’un de ses compagnons de route. L’un des derniers. « Il avait 97 ans. Nous faisions partie d’une association des anciens présidents de la corpo de droit et son décès fait de moi le doyen. » Son école politique. Il y a connu sa première élection comme cadre de l’UNEF qui était en ce temps-là unitaire : « Il y avait tout le monde, l’extrême gauche comme l’extrême droite. »
Les débuts en politique
Au cours de son doctorat, Jean-Marie Le Pen rejoint le premier bataillon de chasseurs parachutistes de la Légion Etrangère en Indochine, persuadé que tout se passe là-bas. Mais en 1955, il revient en France et décide avec deux autres camarades de se présenter aux élections, « pour leur cracher à la gueule. » Quand Edgar Faure dissout l’Assemblée, on lui conseille de prendre contact avec Pierre Poujade. Désireux d’en apprendre davantage sur son discours, ses auditeurs et sa réputation, il assiste à l’une de ses réunions dans une ancienne église de Blois. « Un orateur inspiré, très midi moins le quart, mais bon. Il y avait environ 2000 personnes. Au premier rang, des cadres. Derrière, les commerçants qui avaient mis leurs costumes du dimanche. Et derrière encore, les paysans avec leurs bottes, casquettes et canadiennes. C’était l’hiver. » Convaincu, Jean-Marie se présente à ses côtés. Il est élu au premier tir et devient l’orateur du groupe. Quelques mois plus tard, Pierre Poujade est temporairement écarté, soupçonné de vouloir échapper au pouvoir auquel Jean-Marie et ses camaradent prétendent. Ils repartent alors pour l’Algérie avec le 1REP. « J’ai participé au débarquement de Suez et à la bataille d’Alger contre le terrorisme. Je suis revenu au parlement et j’ai été réélu en 1958, député du quartier Latin et du 5ème arrondissement de Paris. En 1962, j’ai été battu et j’ai fait une traversée du désert jusqu’à 84 pratiquement où j’aurai 10 députés européens. Puis 35 députés nationaux en 1986. Et ainsi de suite… L’histoire de ma vie. »
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Maud PROTAT-KOFFLER
