Entretien (1) Jean-Marie Le Pen : « Je suis un homme atypique »

21 janvier 2019. « Si j’avais enfilé une paire de chaussons à 60 ans, je serais déjà mort. Moi, je mets plutôt mes bottes. » Lundi prochain, Jean-Marie Le Pen est invité à débattre sur Radio Courtoisie. Il évoquera sans doute le deuxième tome de ses mémoires dont il referme à l’instant l’ouvrage après s’être entretenu avec l’écrivain M.P. 600 pages, de 1972 à nos jours. « Il s’en est passé des choses, je suis submergé », s’inquiète-t-il. Il s’en remet donc à cette seconde conscience qui lui dépose avant de partir une pile de documents rigoureusement étudiés qui ne formeront bientôt plus qu’un recueil d’Histoire.

Il feuillette avec hésitation son agenda repu d’entretiens, de devoirs et de noms divers. C’est ce qui lui permet de rester jeune, pense-t-il. Il ouvre ensuite le paquet que je lui ai remis. « Ce sont des chocolats ? Merci ! Mais je vais devoir les remettre à une date ultérieure parce que je suis actuellement dans une phase de volontariat d’amaigrissement. » Sa récente escapade alsacienne à Thierenbach a trahi sa résolution. Il repose toutefois la barquette de Florentins dans le sac, éteint du pied la lampe de son bureau et s’affaire à de premières excuses, après s’être perdu dans l’ordre de ses rendez-vous. « Pardonnez-moi de vous avoir accueillie comme ça, comme la surprise du chef, alors que vous étiez en effet dûment inscrite. » D’habitude, Jean-Marie Le Pen se déplace chaque après-midi à Montretout pour y rencontrer ses interlocuteurs. Nous ne sommes qu’à 20 min de son fief. Mais ce jour-là, c’est en la chaleureuse demeure de son épouse Jany que le patriarche me reçoit en col roulé et pantalon de velours marron, mocassins et lunettes assortis. Le bureau est installé au premier étage. L’escalier en marbre contourne une rampe d’ascenseur réédifiée après l’incendie accidentel qui avait entièrement ravagé la résidence, il y a trois ans. Jean-Marie Le Pen confit y avoir perdu de nombreux biens dont sa bibliothèque, réalimentée depuis par de nombreux ouvrages dédicacés qu’il reçoit chaque mois par dizaines. « Maintenant, je fais comme mon ami Bourdier quand il était critique littéraire de Minute, je lis la première page, je lis la dernière et à un moment donné, j’ouvre le bouquin n’importe où, j’en lis deux autres et selon mon sentiment, je le jette ou je le mets de côté. »

Trois fauteuils, une cheminée éteinte, un bureau couvert de livres, certains empilés sur la moquette, quelques grandes étagères d’un côté, de la paperasse désordonnée de l’autre, une pendule à l’effigie du Front National et quelques objets importés de Saint-Cloud de-ci, de-là… Derrière lui, un drapeau breton est suspendu à la poignée de sa fenêtre qui donne sur le jardin. Rien à voir avec le décor démonstratif de Montre-tout. Ici, tout a l’air plus simple. « Quel âge avez-vous ? » 22 ans, l’âge auquel Marion est entrée à l’Assemblée Nationale, se souvient-il. Jean-Marie n’est pas beaucoup plus âgé lorsqu’à 27 ans, en 1956, il devient lui aussi le plus jeune député. Selon lui, le jeunisme déterminera bientôt la majorité politique à 16 ans. Mais il constate en même temps que la jeunesse ne s’engage pas davantage et que le Grand Débat initié par Emmanuel Macron en devient l’effigie : « N’y viennent que des retraités ! » Ça le fait rire. « Je pense que c’est de la poudre aux yeux, c’est fait pour faire quelque chose… qu’il y ait un contact entre le peuple et la tête politique, le Président de la République que moi je trouve inodore, insipide, incolore. » Le fondateur du Front National ne parvient pas à le mettre dans une situation présidentielle, le voyant plutôt « comme ce qu’il est, un haut fonctionnaire », pourtant « compétant » et « sachant admirablement parler ! »

Il reprend tranquillement : « C’est un garçon brillant, mais je dois dire que je piaffais dans le débat avec Marine Le Pen parce qu’elle aurait dû le défoncer vivant. Elle n’avait qu’à lui parler de la captation d’Alstom par General Electric où il avait joué un rôle comme ministre des finances ; demander à Monsieur le ministre : comment avez-vous gagné 3 millions d’euros en quelques années ? Dans quelle activité ? » Mais le scénario fut autre. Il revoit Marine épuisée après une tournée de meetings « parfaitement inutiles », probablement surprise d’arriver au second tour. Il aurait même trouvé plus logique que Fillon y soit à sa place ! Elle ne s’y attendait donc pas et aurait en plus, selon son père, consommé « un dopant quelconque », lui donnant cette espèce d’euphorie « anormale » dont elle fait preuve devant Emmanuel Macron. Mais Jean-Marie Le Pen voit une seconde raison à cet échec. « Nous sommes dans un pays machiste. Les femmes ne gouvernent pas en France. Elles ont joué souvent un très grand rôle, y compris dans la monarchie, mais elles n’ont jamais atteint le sommet. L’une des plus élevées, c’est Simone Veil. Elle avait bien des atouts que d’autres n’ont pas. » Pas assez distante, pas assez royale, Marine serait donc condamnée à ne jamais accéder au pouvoir suprême. « Mais le drame eût été qu’elle gagne ! » Comme en 2002, reconnaît-il, rien n’était prêt. « Quand j’arrive au deuxième tour, j’affiche un visage plutôt grave et sérieux. Les journalistes s’étonnent que je ne sois pas joyeux, je leurs réponds que je suis inquiet parce que dans 15 jours, si je gagne – on ne peut pas l’exclure parce que Monsieur Chirac, président sortant, a fait moins de 20% des voix, donc je suis très prêt de lui, il peut y avoir une déferlante – je nomme un Premier ministre, je dissous l’Assemblée, je trouve des conseillers… évidemment, rien de tout ça n’était prêt. » Là encore, il perçoit que la victoire n’était pas prévisible et que sa présence au second tour avait été provoquée par une erreur de la gauche, celle d’avoir présenté plusieurs candidats. Mais il regrette que le débat raté de sa fille lui ait porté autant préjudice. « Le champion du monde de ski peut très bien se tordre la cheville dans l’escalier, ça ne l’empêche pas d’être champion du monde de ski et de pouvoir le redevenir quand son entorse sera terminée ! » Donc, rien n’est perdu.

Finalement, il s’assied à côté de moi. « Parmi mes nombreuses calomnies, je suis borgne, j’ai des hanches artificielles et je suis sourdingue ! »

Maud PROTAT-KOFFLER

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