Force tranquille contre force armée ? Non, allégorie contre réalité.

A gauche, une femme en uniforme d’intervention, équipée d’un masque à gaz à embout tricolore, d’un bouclier et d’un bonnet républicain. A droite, une autre femme au corps grisâtre, encapuchée, sein nu, arborant une cocarde britannique sur un bonnet phrygien. Le contact visuel est profond, les sujets sont immobiles, l’artiste a réussi son pari : qui est Marianne ?

Les génies des réseaux sociaux y vont alors de leurs bâillantes théories ; de leurs analyses allégoriques des symboles républicains auxquelles se substitue la réalité des valeurs fondamentales. D’un côté, la performance artistique de Deborah de Robertis, de l’autre, l’engagement vocationnel d’une gendarme mobile. A visages découverts, deux France s’opposent : la valeureuse et la déshonorante.

Difficile de ne pas échapper à l’analyse métaphorique de ce face à face inattendu d’où jaillit une question essentielle : comment peut-on raisonnablement accorder autant de légitimité à l’une qu’à l’autre ? Comment une photo peut-elle équitablement opposer la République à une fiction ? Il n’y a pas de « qui est qui », il n’y a qu’un devoir et qu’une clownerie.

Marianne est née d’une chanson révolutionnaire, en 1792. La République n’était encore qu’un nourrisson enveloppé dans un drap blanc. Elle a grandi parmi les interprétations symptomatiques de quelques écrivains, poètes, intellectuels et autres représentants du peuple. En 1848, la République choisit son nom de baptême, Marianne en devient l’effigie. Elle change de style, elle se débraille, moins BCBG, cheveux détachés, bonnet phrygien et sein nu. On appelle ça « la liberté. » En 1877, les bustes de Napoléon III sont remplacés dans les mairies par cette représentation propagandiste de la République censée incarner ses valeurs. A force de symboles, le visage de Marianne devient une caricature. Les attributs révolutionnaires jugés « trop séditieux » finissent toutefois par être supprimés de quelques représentations.

Cette photo nous permet au moins de revisiter l’histoire à travers l’émotion suscitée par la performance « artistique » de Deborah de Robertis. Mais sans elle, nous n’aurions sans doute pas pu revaloriser l’engagement de cette autre femme en habit noir, plus Jeanne que Marianne.

Maud PROTAT-KOFFLER

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