Mon cher Joël.
Il y a tout juste un an, je vous trouvais dans les cages d’un lâcher de torros, à Calpe, ville espagnole qui nous était si chère.
Vous portiez cette belle chemise blanche, défiant l’ambiance un peu crasse des ruelles euphoriques, invisible pour ceux qui ne vous connaissaient pas, parce qu’en fait, peu importe le prestige, vous ne l’imposiez à personne. « Vous êtes bien Joël Robuchon ? » – « Vous pensez ? »
Vous étiez humble. Avant que nous ne prenions cette photo, vous avez voulu mettre un jeune homme espagnol en avant, « le meilleur d’entre nous. » Il était si fier. Savait-il qui vous étiez ?
Vous avez été le parrain de promotion de mon frère, à Ferrandi. Vous avez été élu « chef du siècle ». Vous avez brillé parmi les meilleurs, en tête des cieux culinaires. Et moi, je vous admirais. C’est un peu fou, j’ai l’impression que le monde vient de s’éteindre et qu’une étoile, une seule, brille encore.
J’espérais vous revoir cette année. Je m’amusais à l’idée de vous retrouver dans cette même tenue, commandant à nouveau un mojito, tellement souriant, tellement vivant, rayonnant de bonheur, juste assez pour nous en donner un peu. Ce devait être votre credo, dans la cuisine et dans l’existence. « C’est un métier où l’on a la chance inouïe de rendre les gens heureux. » Cuisiner, chez vous, c’était tout donner, c’était aimer.
Il est toujours trop tôt pour partir. Il est toujours trop tard pour dire qu’on aime. Mais vous maîtrisiez l’art du temps, et vous êtes sans doute parti à point. L’éternité n’a plus aucun secret pour vous.
Vous me manquerez terriblement. Ce soir, nous dînons dans l’un de vos restaurants préférés, à la frontière de Calpe. Cette assiette sera la votre. 32 étoiles de succès sur terre, 32 à regarder au ciel.
Merci.
Maud PROTAT-KOFFLER
