Immersion fortuite. De loin, quelle belle marée humaine. Dedans, quel bel enfer.
Un soir de coupe du monde sur les Champs-Elysées : « Par Allah, je vais tous vous brûler ! » Il est 23h, Paris est en feu. Un « sauvageon » piétine le drapeau français en se revendiquant d’ailleurs, cet ailleurs black, blanc, beur, ce nouveau patriotisme bercé par la République du vivre-ensemble. On demande aux enfants de fuir, aux drapeaux de plier. On étouffe la Marseillaise à coups de mortier et de gaz lacrymogène. Plus loin, trois scooters créent un mouvement de foule. « Foutez-les parterre ! » Une parole en l’air. Une femme est évacuée sous le regard imbécile de quelques ivrognes, drapeaux mêlés autour du cou, lâches et lassés de crier victoire. La fête, ça va bien un moment.
Les drapeaux algériens sont hissés, la France est verte. Les barrières de flics sont amorties, les commerces sont vaincus. Les casseurs se masquent le visage, les Français se voilent la face. 98 est loin. 45 n’existe plus. Et dans ce fracas de gloires mêlées, cette « ferveur populaire » tricolore – black, blanc, beur -, l’Arc immense brille encore, projetant sans pudeur son coq vainqueur, pieds bouzeux et bec noué.
C’est un carnage. Les « fils de pute de culs blancs » sont rentrés chez eux. Boulevard Malesherbes, un homme visiblement enragé s’empare d’un drapeau tricolore pour le jeter sous une voiture. « Y a plus de drapeau ici, c’est fini ! » Une jeune fille, blonde aux yeux bleus – un peu trop typée -, se fait violemment tirer par les cheveux par deux autres énergumènes aux accents familiers. Ses adversaires la criblent d’insultes, la menaçant de diverses peines si elle ne rend pas son étendard. Ce soir, « I will survive » sonne comme un hymne à l’agonie, un requiem.
Maud PROTAT-KOFFLER
