Membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, sur le thème de l’opinion publique, l’historien Philippe Levillain présentait un exposé autour de l’Eglise, du Vatican et de sa communication.

Ils traversent la grande salle des séances sous le regard distingué de quelques fidèles anonymes. Courbés par la charge d’Histoire qui leur est soumise, les académiciens incarnent le cœur battant du génie français. « Regardez, ma chère, voilà François d’Orcival. » Réélu à la présidence de l’Académie des Sciences Morales et Politiques (ASMP) en janvier dernier, François d’Orcival se tient en maître de séance. Il cède ainsi le fauteuil n°3, siégeant entre le géographe Jean-Robert Pitte et l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie. Au son de la clochette, les confrères enjoués s’installent disciplinairement. Le protocole œuvre selon les rituels largement inspirés de l’Eglise qui, selon François d’Orcival, a tout inventé. Il s’agit d’abord d’adopter le procès-verbal de la semaine passée. S’ensuivent les lectures de correspondances relatives à l’absentéisme de certains académiciens qui sont naturellement excusés. Puis, les annonces. Le 23 octobre prochain se tiendra la séance solennelle de rentrée des 5 académies sur le thème de l’étonnement. Le 12 novembre, ce sera celle de l’ASMP. Certains membres déposent ensuite de nouvelles lectures « sur le bureau de l’Académie » dont ils présentent l’auteur et la teneur. Entre temps, les académiciens reçoivent leur courrier. En l’occurrence, chacun se voit offrir le livret de la réception de Monsieur Kessler à l’occasion de sa remise d’épée.
François d’Orcival introduit l’exposé de Philippe Levillain. Il convient à propos de souligner son parcours. Philippe Levillain est le spécialiste de la papauté. A ses propres dires, il fut l’espion du Saint Siège durant le concile Vatican II. Haïm Korsia, grand rabbin de France, le surnomme à ce propos « Philippe James Bond Levillain. » En 1998, il devient membre senior de l’Institut universitaire de France et du Comité pontifical des sciences historiques. Il est élu membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques en 2011. « Le hasard a joué un grand rôle dans ma vie, y compris pour arriver ici… » Et autres faits et promotions que nous contournerons seulement par bénéfice de place…
Vatican II.0, et Dieu créa l’opinion publique
Avant d’attaquer la question des communications ecclésiales dont il a rédigé le texte cette nuit, Philippe Levillain fait éminemment référence à leur « confrère, le cardinal Ratzinger » qui siégea plusieurs fois dans cette pièce. « Il serait bon de lui rappeler notre souvenir car nous ne lui avons pas donné de nouvelles depuis longtemps. » Sage requête en ces temps incertains. Le Pape Benoit XVI fut le plus attaqué de tous, sujet à de nombreuses rumeurs, lesquelles le menèrent certainement à la décision ultime de quitter le Pontificat. A ce propos, on ne dit pas « pape émérite » mais « évêque émérite ».
Vatican II se tient en première ligne de tir. Il évoque le rôle de retransmission journalistique en termes compréhensibles de la doctrine théologique à l’air de l’information immédiate. Vaste sujet de progression que subit la tradition. « Après la 2nde guerre mondiale, l’Eglise a voulu garder son même système. » L’Eglise n’a pas évolué avec son temps, et Dieu sait combien il est difficile de rattraper son retard sans avoir l’air à la ramasse.
« Puis l’opinion publique est devenue la croix du Saint Siège. » Le concile Vatican II en a subi l’emprise. C’est bien connu, « l’opinion publique influence l’opinion privée. » Elle a rompu la nature de leur relation fondée sur une confiance sans doute un peu trop naïve. A la verticalité du message de l’Eglise s’est imposée l’horizontalité de l’instant, du moment, de la brutalité des mots. L’Eglise en a perdu son latin et s’est appropriée (ou inversement) la langue européenne. La dénaturalisation de la langue religieuse au service de la communication laïque a eu quelques effets néfastes… Alors, pour tenter de conduire l’opinion publique, le Vatican instaure sa tour de contrôle : le bureau de presse. Radio Vatican fait son apparition, puis le site internet. Benoît XVI inaugure le tweet pontifical. Il se met à la page. Le latin entre dans l’air du numérique. « Avant, on se parlait par encycliques, par téléphone, et maintenant par selfies. »
Le concile Vatican II est dramatisé parce qu’incompris. L’arrivée de Jean-Paul II fait oublier cette crise. Il renoue même avec les hommes en se prêtant à toutes les séductions du monde, mais surtout lors de sa convalescence à l’hôpital après sa tentative d’assassinat. On le voit plus humain qu’aucun pape, camaradant avec ses voisins de chambres. Saint Jean-Paul II rend le pape à l’humanité. Il va à sa rencontre, il crée les JMJ qui deviennent une sorte de rite quasi liturgique. Jean-Robert Pitte se demande ce qu’il en restera. Philippe Levillain lui répond que les moyens de communication, enregistrements sonores et visuels, permettent désormais de tout garder. Oui, mais spirituellement ?
Philippe Levillain termine sur une remarque personnelle. Le Pape François a quelque chose de Trump. « Trump a récupéré le déçus d’Obama, François a récupéré les déçus de Benoit XVI. » Sur Twitter, ils explosent les compteurs de followers. Autres temps, autres mœurs…
Maud PROTAT-KOFFLER
