[LETTRE A FRANCE] Fondée en 1730, Stohrer est la maison mère de la pâtisserie parisienne qui perpétue la tradition du savoir-faire. Heureusement que les touristes sont là pour nous le rappeler… Mais allons plus loin.
Demandez à un pâtissier de revisiter un mets traditionnel, il reprendra la recette brute à moindre dissemblance. En France, l’artisanat est un héritage qu’on ne profane pas. « La pâtisserie française est unique et inégalable dans son exécution. Mais elle est aussi liée à note histoire, à notre éducation et à notre culture judéo-chrétienne. » Parole de Meilleur Ouvrier de France, [nous rendons grâce à] Olivier Bajard.
Mais dans les révolutions opiniâtres qui poussent à renouveler sans cesse les fondements de notre génie, il n’y a pas que la pâtisserie, puissant exemple de notre faculté de résistance. Ne négligeons pas le potentiel des nouveaux artisans qui innovent en demeurant fidèles aux usages d’antan. C’est en somme – et en toute politesse – le meilleur bras d’honneur que l’on puisse faire aux adorateurs de cupcakes et autres grossièretés américaines qui polluent le palais et désorientent l’esprit.
Car oui, la France est une nation fière, pétrie de talents divers et inégalables. Au-delà de ce tissu tricolore qui attise davantage les foudres que les clameurs, il y a cette France qui se goûte, cette France qui se lit, cette France qui se regarde en tout et en chacun. La France est capable d’exploits, d’héroïsme, de modernisme et de merveilleux, justement parce qu’elle est la France. On peut être un patriote gourmand pour la richesse de nos terroirs. On peut être un patriote écolo pour la diversité de notre géographie. On peut être un patriote artiste pour la beauté de nos arts. Winston Churchill (qui aimait la France) avait cette phrase extrêmement forte : « Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur. » Alors make France great again.
But alors you are french ?
Naturellement. De naissance. Mais alors comment devient-on Français, au-delà des demandes abondantes et largement consenties par l’Etat ? La question du mérite est inévitable. A l’exception Mamoudou Gassama se confrontent d’autres et nombreuses exceptions anonymes. Un Légionnaire s’étonnait par exemple de ne pas encore avoir reçu la nationalité française après avoir servi 8 ans sous nos couleurs. « Gloire à ceux qui pour la France ont voulu verser leur sang », oui, mais pas tous. Lenteur administrative ou faveur médiatiquement et politiquement agencée ? La France n’assume peut-être pas ses propres héros, elle préfère ceux des autres. On idolâtre les Ricains à juste titre, mais on oublie d’idolâtrer nos morts à juste mesure. Comme quoi, l’indépendance a finalement fait des morts pour rien.
Et la tradition ?
Socle solide d’une ère branlante. La citation de Churchill suffit à justifier la nécessité de s’y attacher. Mais si la tradition ne nous atteint pas personnellement, c’est que l’éducation ne fait pas son travail. On n’apprend pas seulement à lire, à l’école. On apprend à comprendre ce qu’on lit. Et que lit-on ? Ronsard, Camus, Hugo… Tous ceux qui sont entrés dans la tradition parce qu’ils ont choisi de mettre leur talent au service de la culture française. Parce qu’ils n’ont pas cédé aux tentations multiculturelles, trop enivrés par la découverte de notre langue. Nul n’en connait l’intégralité des mots, des expressions, des sens et des contre-sens. Être Français, au-delà des croyances religieuses, c’est avoir foi en son passé et confiance en son avenir, par ce qu’on est et par ce qu’on devient.
Et par Guitry : « Je suis un de ces hommes à qui l’on ne pardonne rien. Je n’ai qu’ une passion : le travail ; je n ‘ai qu’un seul bonheur : aimer. Je n’ai qu’un amour : la France. »
Maud PROTAT-KOFFLER
