REPORTAGE. Il y a 14 ans, Géraldine Giraud et Katia Lherbier disparaissaient au fond d’un puisard, dans l’Yonne. 6 ans plus tard, le principal suspect, Jean-Pierre Treiber, se suicide dans sa cellule de Fleury-Mérogis, mettant un terme à la procédure judiciaire. La vérité au bout d’un corde, et pour toujours, le silence.
30 octobre 2004. Géraldine Giraud, fille du comédien Roland Giraud et de Maaike Jansen, rejoint la maison de campagne familiale à La Postolle, dans l’Yonne. A 20 kilomètres du village, sa tante, Marie-Christine Van Kempen, vit en colocation avec une jeune femme, Katia Lherbier, initialement désireuse de travailler son timbre de voix avec celle que l’on surnommera plus tard « la cantatrice ». Géraldine et Katia se rencontrent une quinzaine de jours plus tôt et entretiennent, depuis, une relation amoureuse passionnelle. Les deux femmes de 36 et 32 ans se retrouvent donc pour séjourner ensemble. Le 1er novembre, vers 20h, Géraldine reçoit un coup de téléphone. La ligne coupe net. Les deux femmes ne donneront plus aucun signe de vie.
L’évidence Treiber
21 novembre 2004. Un homme est interpellé à la suite de prélèvements bancaires effectués avec les cartes de crédit de Géraldine et Katia. Il s’agit du garde-forestier Jean-Pierre Treiber, 41 ans, plutôt discret et renfermé mais parfois impulsif, selon des sources. Les enquêteurs retrouvent également à son domicile les cendres éteintes d’un feu de bois parmi lesquelles apparaissent des boutons de jeans, deux morceaux de téléphone portable et des clefs d’appartement.

9 décembre 2004. Au terme de 36h de fouilles menées dans le jardin du garde-forestier, lieu-dit le Château, près de Villeneuve-sur-Yonne, les enquêteurs découvrent deux corps calcinés au fond d’un puisard. Au moment de la découverte des cadavres, Jean-Pierre Trébert se trouve sur place et s’exclame vulgairement : « Putain, il l’a tué ! »
Quelques jours plus tard, des tests ADN confirment qu’il s’agit bien de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier. L’autopsie ne révèle aucune trace de violence sexuelle mais confirme un empoisonnement par inhalation à la chloropicrine, un moyen toxique de lutter contre les insectes et certains nuisibles lors de la chasse. Jean-Pierre Treiber, lui-même chasseur, clame fermement son innocence. Il affirme en revanche avoir croisé le chemin des deux femmes dans un bar à la fin de l’été 2004, alors qu’elles ne se connaissaient pas encore. A cette occasion, elles lui auraient elles-mêmes donné leurs cartes de crédit. Naturellement, rien ne tient…
15 décembre 2004. L’ADN de Jean-Pierre Treiber est découvert sur le rouleau de ruban adhésif qui pourrait avoir servi à bâillonner les victimes. Les enquêteurs émettent l’hypothèse d’un complice.
20 décembre 2004. Géraldine Giraud est enterrée à La Postolle, quelques jours après Katia Lherbier. Au même moment, Jean-Pierre Treiber est mis en examen pour enlèvements, séquestrations, vols et escroqueries.
8 septembre 2009. Jean-Pierre Treiber s’évade de façon spectaculaire de la prison d’Auxerre en se dissimulant dans un carton. Il adresse une lettre au journal Marianne pour expliquer son évasion.

20 novembre 2009. « L’homme des bois » est arrêté à Melun par le Raid. Il est présenté le lendemain à une juge d’instruction d’Auxerre, mis en examen pour évasion et écroué à Fleury-Mérogis.
20 février 2010. Jean-Pierre Treiber est retrouvé pendu dans sa cellule. Il devait comparaître en avril 2010 devant les assises de l’Yonne. Sa mort met fin à l’action en justice.
Marie-Christine Van Kempen, entre complot et fantasme
Parallèlement, un autre profil attire l’attention des enquêteurs : Marie-Christine Van Kempen, la tante maternelle de Géraldine Giraud qui vivait en colocation avec Katia Lherbier. C’est par son intermédiaire que les deux femmes se sont rencontrées. Une des pistes envisagées par la police fut que celle-ci ait manigancé ce double assassinat par jalousie… Selon une source sûre que l’on nommera X, Marie-Christine avait en effet trouvé une sorte de sérénité avec Katia, une « complicité amoureuse » qu’elle aurait souhaité préserver comme le confirmera une lettre révélée par Le Figaro, en 2007. Pour autant, aucun élément à charge ne fut retenu contre Marie-Christine Van Kempen. Aucun, et pourtant…

1er mars 2005. La cantatrice est placée en garde à vue. Des traces de chloroforme (possible décomposition de la chloropicrine) ont été retrouvées dans sa cave lors d’une perquisition… Peu de gens savent en revanche que cette maison n’était pas la sienne puisqu’elle en était locataire. Elle avait auparavant été louée à un photographe qui faisait lui-même développer ses photos dans la cave. Le chloroforme aurait pu venir de là.
Marie-Christine Van Kempen avait commencé à louer cette maison quelques mois avant les évènements afin d’y donner des cours de chant. C’est à cette occasion qu’elle avait rencontré Katia Lherbier.
25 novembre 2005. Marie-Christine est cette fois mise en examen et écrouée pour « complicité d’assassinats ». Une certaine Patricia Darbeaud connaît le même sort. Il s’agit de l’ex concubine de Jean-Pierre Treiber qui aurait perçu une partie de l’argent retiré par ce dernier avec les cartes des victimes. Les deux femmes auraient donc été vues par une gérante de bar à Fontainebleau en compagnie de Treiber quelques jours seulement avant les meurtres. Mais le 17 février 2006, le juge d’instruction en charge de l’enquête confronte la gérante du bar et les trois présumés complices. Les trois suspects démentent fermement l’accusation et la gérante admet une confusion. « Comment cette femme (ndlr Marie-Charistine Van Kempen) aurait-elle pu ensuite convaincre Treiber de tuer les deux femmes et en échange de quoi ? Elle n’a pas un sou », fait en plus remarquer un connaisseur de l’affaire. Le soupçon tombe à l’eau. La thèse du complot se referme pour l’instant…
Aimer, à perdre la raison…
1er novembre 2007. Le Figaro publie une lettre de Marie-Christine Van Kempen adressée à Katia Lherbier. « Ce fut une jolie rencontre. Je la garde belle dans mon cœur. Je lâche entièrement prise quant à ta rencontre avec GG (ndlr Géraldine Giraud) et vous souhaite de grands moments de bonheur. Je t’ai ouvert grand mon cœur (…). L’ombre de la famille Giraud pèse trop lourd sur moi pour ne pas parasiter mon quotidien à travers votre rencontre. Oh baby I hope you understand. Nos chemins se séparent là pour l’instant… » « Lettre d’amour ou de tendresse », se demande le quotidien. Ces quelques lignes entrent dans le circuit judiciaire et relancent l’hypothèse du meurtre passionnel.
X, notre source, n’en croit pas un mot. Au lendemain de la disparition de Géraldine et Katia, il croise Marie-Christine à Sens. Ils se connaissent peu, mais il lui fait tout de même remarquer sa petite mine. « Je suis inquiète, les filles sont parties hier et elles ne sont toujours pas revenues », lui confit-elle. « Je ne le sens pas ». Sa crainte ne lui semble pas surjouée. Artiste, oui, mais pas comédienne. Il la revoit quelques jours plus tard chez elle, lors d’un repas. C’est la première fois qu’il se retrouve dans cette maison.
X a cette faculté de ressentir les choses qui ne vont pas lorsqu’elles sont toutes proches, qu’il s’agisse du lieu ou des personnes. « Je ne remarquais rien d’anormal, si ce n’est la crainte de Marie-Christine ». Une crainte justifiée pour certains, interprétable pour et par d’autres. Parmi eux, le directeur d’enquête tout juste installé à Sens, le commandant Cunault.
REPORTAGE. Il vit en marge d’un petit village, à quelques pas de La Postolle. Interrogé deux fois par le commandant Michel Cunault, il plante le décor de l’enquête sans langue de bois. Récit.
13h33, gare de Paris-Bercy. Le TER Bourgogne Franche-Comté est en avance. Dans toute affaire judiciaire, le temps compte. C’est l’un des sujets majeurs de cette enquête. « Ce TER desservira Sens… », coup de sifflet. Il fallait trouver une parole différente qui ne tire aucun profit mais qui prend tous les risques. Celui, notamment, de relancer l’affaire.
Figure importante du milieu judiciaire sennonais, il se retrouve malgré lui concerné par le meurtre de Géraldine Giraud et Katia Lherbier. Avant le double assassinat, il côtoyait parfois Marie-Christine Van Kempen. Depuis, ils ne se sont jamais revus.
« Nous arrivons en gare de Sens. » Le chemin se poursuit en voiture à travers champs. Sur la route, un panneau indique la direction de La Postolle. Nous y sommes.
Il est 15h, le ciel se voile comme par respect. On se croirait dans un polar : une maison planquée au creux des bois, le crépitement d’un feu presque éteint, deux cafés noirs et cette ambiance qui s’obscurcit à mesure que le temps passe… « On y va ? »
« Il y a eu plein d’erreurs dans cette enquête »
Et plein, c’est peu dire. En 2003, la région de Sens change de préfecture. De nouvelles mesures en témoignent avec, notamment, l’arrivée d’un nouveau commandant de police, le très célèbre Michel Cunault.
« L’ensemble des membres du palais de justice de Sens disait qu’il se plantait complètement ». Peut-être aurions-nous pu connaître la vérité avant que le temps ne s’en empare… Peut-être aurions-nous pu sauver les familles Giraud et Lherbier de l’ignorance qui rend fou. De l’ignorance ? Le commandant Cunault préférait encore prophétiser plutôt que de l’assumer. « Il voulait terminer sa carrière en beauté », charge notre ex juriste. « Tout le monde allait à l’encontre de ses opinions », poursuit-il. A force de vouloir tout maîtriser, tout lui aurait échappé. Tout, à commencer par cette perquisition dans la maison de Marie-Christine Van Kempen. « Lors de la première perquisition, il y avait un chat mort dans la maison… ils n’ont pas pensé une seule seconde qu’il fallait le récupérer pour savoir ce qui l’avait tué. Au lieu de ça, ils ont ameuté la presse pour filmer et commenter leur arrivée triomphale dans la maison de Marie-Christine ». Anecdote nous confirmée par un policier sennonais. Les enquêteurs, seraient-ils passés à côté de la seule preuve matérielle d’un possible empoisonnement au sein même de la cave, comme l’avait seulement imaginé le commandant après y avoir trouvé du chloroforme ?
« Son » enquête, « sa » thèse et « ses » méthodes aussi dévastatrices qu’irrationnelles
Pour convoquer X qui se trouve alors muté dans une autre ville depuis quelques mois, il appelle le tribunal en évoquant « une audition dans le cadre d’une enquête criminelle ». Grâce à la délicatesse de cette initiative, l’ensemble des magistrats est averti. Un détail qui en dit long. 3 ans plus tard, rebelotte. Cette fois-ci, le juriste s’énerve : « Si vous me reconvoquez, c’est que vous n’avez toujours rien ! » En effet, Michel Cunault laboure à la petite cuillère sur sa parcelle de certitudes. Tellement sûr qu’il se charge de rendre théoriquement coupable Marie-Christine Van Kempen, contre laquelle il multiplie les thèses complotistes… manque de pot, le jeu se retourne contre lui. Romancier ou policier, il faut choisir.
En 2011, le commandant Cunault publie L’Affaire Treiber, un condensé de l’enquête avec, en conclusion, son scénario. « Jean-Pierre Treiber et Marie-Christine Van Kempen se connaissaient. Ils avaient de multiples possibilités de se rencontrer : à l’Atlantide par exemple. Je sais, par des amis de Marie-Christine, qu’elle se faisait déposer à la discothèque le soir et qu’ils la retrouvaient plus tard, accoudée au bar en grande conversation avec des hommes qu’ils n’avaient jamais rencontrés. (…) Treiber aimait sortir la nuit. » Phénoménal. En contradiction totale avec l’enquête.
Il poursuit avec conviction en invoquant des soupçons passés pour vérités, évoquant « un plaisir de tuer enfoui » chez Treiber qui aurait assassiné les filles dans la cave de la tante, estimant même que Marie-Christine, ne pouvant assumer l’horreur, « se réfugie alors dans ce personnage de folle illuminée, de derviche qui tourne sur elle-même. Après tout, les gens qui ont la cervelle un peu dérangée savent parfaitement jouer de leur folie pour manipuler les autres. » Coupez moteur !
« Il aurait dû l’appeler L’Affaire Cunault ! », se désole X. Contrairement aux interprétations massives du directeur d’enquête, notre interlocuteur n’avait jamais perçu de changement dans le comportement de Marie-Christine Van Kempen. « C’était une femme adorable, fofolle, artiste, sans histoire… », esquisse-t-il. Lorsqu’il la retrouvait dans l’un des bars de Sens, c’était autour d’un sirop, jamais d’alcool. Pour lui, le scénario du commandant Cunault ne tient pas la route.
« Il m’arrivait souvent de la raccompagner en voiture chez elle. Elle n’avait jamais voulu passer le permis. », ajoute-t-il.
Quant à connaître Treiber, aucun témoignage, mis à part celui de la directrice d’un bar à Fontainebleau, n’a jusqu’alors laissé prétendre la moindre rencontre, le moindre échange. Rien ne justifie de telles accusations, pas même un soupçon d’ADN de Treiber dans la maison de Marie-Christine Van Kempen. « Mais si ça se trouve, tout ce que je pense d’elle est faux et c’est bien elle qui a tout manigancé. J’essaye d’être le plus objectif possible. », conclut-il.
Suite à la parution de ce livre, Marie-Christine Van Kempen et Patricia Darbeaud portent plainte pour diffamation. Elles gagnent le procès. En fin de compte, la seule personne condamnée dans cette affaire fut le directeur d’enquête.
4 heures sont passées, il fait déjà nuit. Le feu brûle encore.
Maud PROTAT-KOFFLER
Devoir pour l’ESJ Paris
