Notre Dame des touristes

Chaque année, des millions de visiteurs franchissent le seuil de la cathédrale Notre Dame de Paris. Curieux, pélerins, indifférents… Et vous, quel touriste êtes-vous ?

La lumière des cierges se substitue au crépitement des flashs. On ne se laisse plus émouvoir que par la qualité de son cliché. Le sacré devient virtuel, le virtuel devient sacré. Les machines à souvenirs fonctionnent sans interruption alors que le denier ne se contente que de modestes quêtes. On ne regarde plus les vitraux qu’au travers du prisme numérique. Le divin est banalisé. C’est une attraction. Notre Dame des Touristes, priez pour nous !

Cet aspect sarcastique, Notre Dame de Paris l’incarne tristement. Le tourisme pieux s’empare viscéralement du religieux. « Prière de ne pas utiliser le flash » fait office de commandement tandis que dans le chœur s’élève une autre prière. Les barrières séparent la foi et la curiosité, à la fois distinctement liées et injustement dissociées. Un côté chrétien, un côté athée. Un côté cultuel, un côté culturel. Le silence est toutefois requis dans les deux camps.

L’architecture, il est vrai, mérite que l’on s’y arrête sans forcément prêter attention à l’environnement. Cette bâtisse gothique du XIVe siècle suffit à faire poser un genou à terre. Son symbole, son histoire, son inspiration sont à la capitale ce que Victor Hugo est à la littérature (le choix n’est pas innocent). Il serait alors de bon ton de pardonner au touriste cette attention portée davantage à l’édifice qu’au sacré. Oui, mais…

Sacré selfie !

Attention, il n’est nullement question de traiter le touriste comme un vulgaire sujet de maltraitance intellectuelle. Mais lorsque celui-ci agit consciemment de manière déplacée dans un lieu où l’usage de la perche à selfie est, soyons francs, inapproprié… il est alors naturel d’avertir révérencieusement le responsable. Pas question de moraliser. Nul n’est véritablement bien placé pour sanctifier. Seulement, la promotion du « soi » dans un lieu sacré, a-t-elle vraiment sa place ?

En janvier 2015, le journal Le Monde alertait déjà les promoteurs du selfie. Le cliché égocentré, devenu rituel incontournable, s’infiltrait alors en tous lieux et en toutes circonstances, au-delà même de la bienséance souvent requise. L’exemple de l’immortalisation des obsèques d’un proche paraissait alors un peu saugrenu. Et pourtant…

Quelles sont les limites à ces dérives ? Si le sujet prête à sourire, les conséquences n’en sont pas moindres. Plusieurs personnes sont mortes en prenant des selfies, oubliant les dangers que présentait leur environnement (pont, falaise, route…) ou victimes de harcèlements sur les réseaux sociaux. Dans un autre genre, une étudiante a récemment abîmé une dizaine de sculptures exposées dans une galerie d’art à Los Angeles en cherchant le bon angle pour se prendre en photo.

Retrouver le sens du sacré

Tout le monde a besoin de spirituel. Mais tout le monde n’a pas le foi. Dans l’Eglise, croire en Dieu, c’est d’abord croire en soi. C’est avoir conscience de ce qu’on est pour mieux connaître l’autre. Dans cet esprit, Coluche savait être spirituel : « Pour critiquer les gens, il faut les connaître, et pour les connaître, il faut les aimer. »

S’il est de bon ton depuis des siècles d’affubler l’Eglise de tous les maux, il n’en demeure pas moins qu’elle offre à l’homme la possibilité de comprendre raisonnablement la vie, de chercher Dieu et d’assister à la beauté de la création. Une beauté reportée dans ses édifices, d’où l’importance de s’y laisser transcender, même quand on a pas la foi.

« Dieu, c’est l’invisible évident. » Victor Hugo

Maud PROTAT-KOFFLER

 

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