Ecoute. Il est des hommes qui ne parlent qu’en leur cœur et ne frémissent que devant Dieu. Loin des perversions, des plaisirs vains et des obscénités de ce monde, certains préfèrent se retirer. Passer du tout au Tout, s’abandonner au supernel dans le service et la prière. Une folie, me diras-tu ! Quel bonheur peut-on tirer d’un tel don de soi ? Celui qu’on ne trouve guère dans le tumulte de nos vies. Ce que tu nommes enfermement, je l’appelle liberté.
Nous sommes au cœur des ruines de ce qui fut l’abbatiale de Saint Wandrille, une abbaye bénédictine au cœur de la Normandie, mainte fois détruite et dépouillée. De ce dépouillement en naquit une nouvelle, plus moderne, moins spacieuse et dépourvue de chamarrés. L’ostensoir est l’aurifère de l’abbaye, le reste n’est qu’accessoire. Le chœur déploie son charme au son des cantilènes lorsque les moines s’y réunissent pour prier. Foi infrangible, vie mesurée, les Frères vivent en équanimité devant Dieu. Nul ne veille sur soi que par l’intermédiaire de l’autre. C’est cela, la liberté.
Le silence déploie les sens, il les parfait voire les sublime. Tout est alors divinisé, des plus légères fragrances aux doux parfums d’encens. Sans ignorer l’odeur savante des incunables du XVème rangés avec soin dans l’immense bibliothèque de l’aile droite. Le savoir se forge autant que la prière dans une étude continuelle. Ainsi, aucun moine n’est susceptible de vivre sans raison ni croire sans comprendre. De quoi éviter les doutes lancinants et paralysants qui génèrent la perte de confiance et le renfermement. Un doute peut mettre fin à toute chose s’il n’est pas résolu par le savoir, mais conforté par soi-même.
Tu peux enfin te demander à quoi sert le moine… Outre la bière et le pain d’épice qu’ils produisent, les bénédictins de Saint Wandrille travaillent ensemble à vivre selon la volonté de Dieu. Cette dilection est pour ainsi dire le moteur de la vie monastique. Ils apprennent à s’aimer en frères, à pardonner, à travailler, à prier, à vivre selon l’Evangile et la règle de Saint Benoît, et par-dessus tout, à travers tout cela, à chercher Dieu.
C’est un combat. Leur arme est la prière, sans giberne à la ceinture, leur munition est trinitaire : la foi, la charité et l’espérance.
Ce sont des hommes, des femmes, des gens à qui l’on ne semble rien envier, à qui l’on envie tout…
Maud PROTAT-KOFFLER
