Chateaubriand, Voltaire, Proust, Camus… la langue française est passée par bien des époques mais à chacune son style et ses déboires. Élégante, raffinée… elle progresse dans les âges, séduit encore et ne cède pas aux codes anglomanes. Bernard Cerquiglini, linguiste français, consacre un énième ouvrage à sa gloire, Enrichissez-vous : Parlez francophone !.
« Ma Patrie, c’est la langue française », disait en son langage Albert Camus. Bernard Cerquiglini en a fait son combat. « Vous avez dés maintenant un rôle important par rapport à la langue : vous allez être prescripteurs, que vous le vouliez ou non. » Face aux étudiants de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris (ESJ Paris), le linguiste lyonnais ne mâche pas ses mots : « Vous héritez d’une tradition. Votre rôle, c’est de savoir qu’on va vous écouter. » Préventif, il se fait fort de rappeler à la nouvelle génération que la langue française « n’est pas simplement un outil » ou « un ensemble de sons produisant du sens ». Toute langue répond à des normes, de la grammaire à la prononciation, des normes sociales aux normes consécutives. Les parents corrigent les enfants à l’instar des professeurs qui corrigent leurs élèves. L’aisance, variante légitime de la langue, égale les codes scripturaux. Le français est donc une langue normée, équipée de fonctions et d’élégance.
« La langue française n’est pas prête de mourir »
La conservation de la langue passe par son accompagnement. De ce fait, Talleyrand fut celui qui inventa le métier d’instituteur afin d’enseigner le français. En 1842 apparaît le Bescherelle, bible de la grammaire française intemporelle. Ancien directeur de l’enseignement primaire, Bernard Cerquiglini déclare : « L’école, quoiqu’on en pense, pratique moins la prescription ». Car si l’école développe l’apprentissage de la langue française, elle n’en est pas pour autant garante et s’emploie davantage à transmettre les normes de base.

« Quand on utilise le français, on utilise les mots français sans céder à l’anglomanie, sans céder à ce qui est passager . »
Nous sommes des conservateurs de la langue, héritiers directs ou indirects de ce que l’on pourrait attribuer à « l’art de vivre à la française ». A cela s’ajoute l’aspect de progression : « Il ne s’agit pas d’être puriste, il s’agit d’aider à faire évoluer la langue correctement. » Accueillir le changement et l’accompagner, la servir sans l’asservir. Il faut donc être un savant de la langue, en connaître les sens et lui permettre de « dire la modernité » sans recourir à l’anglomanie, ce « phénomène de mode qui se démode ». A ce propos : « Proust faisait plein d’anglicismes mais pas un n’a survécu. On ne parle plus la même langue que Proust qui n’écrivait pas la langue de Hugo, qui n’écrivait pas la langue de Voltaire… ».
Le linguiste réagit enfin à la réforme du prédicat : « L’histoire du prédicat est stupide. En linguistique on distingue le verbe et l’objet, au plan sémantique, c’est thème et prédicat. Il y a une sorte de diafoirus dans les programmes. » Il ajoute que la notion d’objet peut en effet être critique et que l’école doit adopter une terminologie simple. L’enjeu se porte également sur les parents qui doivent « suivre le progrès et le programme de leurs enfants », en négligeant toutefois le nivellement par le bas.
Maud PROTAT-KOFFLER
Photo de couverture : Lucas Pierre
