Il est à l’origine d’une véritable résurrection, celle de Jean Labie, polytechnicien et sous-officier engagé au front dès 1914. Au terme de trois années d’enquête, Christian Batifoulier dévoile 364 lettres présentées et annotées dans un ouvrage inédit, Un homme dans la guerre, paru aux éditions Broché.
En 1914, Jean Labie a 26 ans. Au cœur du fracas, le jeune sous-lieutenant doit mener un tout autre combat : consoler son épouse dans une correspondance pour le moins incertaine, mais permettant ainsi de fendre l’enfer avec la plume. Depuis le vacarme dans lequel il vit, jusqu’aux romans dans lesquels il se plonge, Jean Labie n’épargne rien. Il porte un regard critique et politique notamment envers la presse de l’époque et continue de s’instruire parmi les grands classiques (Voltaire, Rousseau…). Rien n’arrête la soif de connaissance du jeune sous-officier, pas même une guerre !
Les livres d’histoire nous enseignent des chiffres, des gueules cassées, quelques symboles d’une guerre meurtrière sous des traits parfois un peu trop abstraits. Loin du tableau scolaire dont on ne retient que l’aspect global et impersonnel de la Grande Guerre, Christian Batifoulier nous invite à un face à face désarmant. L’Histoire prend vie. Jean Labie, jeune sous-officier d’artillerie, écrit entre les lignes de combat à la lueur d’une bougie. Parmi les deux millions de lettres envoyées depuis le front entre 1914 et 1918, 364 parviennent à destination de sa jeune épouse. Toutes échappent à la censure, y compris dans ce recueil où Christian Batifoulier a souhaité garder l’intégralité de chaque lettre. Il choisit ainsi de préserver l’authenticité de celui qui en est l’auteur : « Il a ses qualités et ses défauts, il est entier ».
Christian Batifoulier, ancien journaliste et conférencier, est un inconditionnel de l’Histoire de France. Cette démarche l’amène à s’y replonger intégralement. « A travers ces lettres, on entre dans la vie de cet homme, on rencontre ses réactions ». Il découvre une qualité rédactionnelle et culturelle surprenante. Son travail de recherche s’étend donc à la culture et aux expressions de l’époque, parfois bien énigmatiques. Il découvre alors des mots qu’on n’emploie plus, des situations qu’on ne sait plus interpréter… « J’ai reçu ma deuxième ficelle » signifie par exemple avoir reçu un grade, une barrette. Le travail de Christian Batifoulier consiste ainsi à rendre ce témoignage accessible tant sur le fond culturel que sur la forme grammaticale.
La guerre réduite à l’individu
Si les monuments aux morts servent à commémorer le trop grand nombre de noms oubliés dans les tranchées, les lettres de Jean Labie témoignent quant à elles d’une vie menée jusqu’au dernier combat. Que vaut l’existence d’un homme au cœur d’une guerre mondiale ? Christian Batifoulier y répond avec la mise en lumière de ce témoignage historique. Jean Labie était un homme ordinaire. Christian Batifoulier l’est aussi. Mais l’un et l’autre ont su redonner au soldat inconnu sa dignité authentique. C’est un travail de transmission, un devoir de mémoire qui a su trouver ses passeurs.
« Il écrivait ainsi, jusqu’à ce que la bougie ne s’éteigne ».
Maud PROTAT-KOFFLER
Un homme dans la guerre, Editions Broché, Christian BATIFOULIER, 22€
