Thierry Desjardins, savoir garder sa naïveté

Il est l’un de ces illustres héritiers d’Albert Londres dont la carrière redore l’image bien trop souvent dépréciée du journalisme. Il s’inscrit donc ici parmi quelques autres figures du Grand Reportage dans un livre paru aux éditions Florent Massot, mettant ainsi en lumière ce que l’on nommera : la grande famille des reporters.

La justesse de son indignation peut émouvoir. Thierry Desjardins n’est pas un grand matérialiste, il compte d’ailleurs plus de souvenirs que de cheveux. Il est un peu comme son stylo Mont Blanc avec lequel il s’embarqua sur les chemins les plus aventureux : une pièce de collection que les ordinateurs ont remplacée. Sinistre destin pour tant d’encre coulée. Mais si ce fatalisme fait de certitudes accompagne sa vision des évolutions morales et technologiques actuelles, Thierry Desjardins n’est pas de ceux qui subissent le changement. « Il est de bon ton depuis quelques années d’affirmer que le journalisme – et plus encore le grand reportage n’est plus ce qu’il était ». Sur un fond de satire, il évoque l’évolution du journalisme du crayon au clavier, de la curiosité qui faisait encore traverser les frontières du monde à l’apparition d’Internet, l’intelligence statique. La facilité est-elle une fatalité ? Aujourd’hui, tout le monde s’improvise reporter, plus personne ne bouge pour comprendre l’état de l’Histoire, tout vient à point à qui sait twitter.
Non, Thierry Desjardins n’est pas un vieux réac. Il vit avec et dans son temps et sait s’adapter à tout changement. Mais il déplore un manque : « Autrefois, pour être un bon journaliste, il fallait être un peu… débrouillard voire même un rien voyou (…). Il fallait savoir acheter un employé du télex, trouver un radio-amateur, séduire une femme vice-consul. Aujourd’hui, il suffit de savoir décrocher un téléphone ». Sans doute touche-t-il du doigts un fléau qui s’amplifie à force de progrès technologiques. Car si la manière de traiter l’information importe peu pour le lecteur, elle n’en est pas moins le socle branlant d’un fond qui joue son intérêt et sa crédibilité. A cela s’ajoute la rapidité de diffusion, vaste chantier en évolution permanente.

Le courage et la vérité

Le journalisme ne tire aucune dévalorisation de cette évolution, selon Thierry Desjardins : « Je ne pense pas qu’il y ait davantage de mauvais journalistes aujourd’hui qu’hier ». La recherche de la vérité reste identique et sa difficulté demeure incontournable. Il faut continuer de chercher, de raconter, d’intéresser, de contester… et ce n’est ni plus facile, ni plus difficile qu’autrefois. On s’aperçoit curieusement que les drames d’aujourd’hui sont parfois les mêmes que ceux d’il y a 20 ou 30 ans, à croire que la Terre n’a pas beaucoup tourné depuis l’époque d’Albert Londres. C’est en cela que le métier de journaliste est fabuleux : il ne faut jamais cesser de se passionner, en évitant toujours l’influence des idéologies et des hommes. « C’est sans doute ici que les choses ont un peu changé. Il est peut-être plus difficile aujourd’hui de garder cette naïveté qui permet de s’indigner, de s’insurger. On a tout vu, on ne s’étonne plus de rien et tant d’espoirs ont été déçus ». Il faut être dupe pour s’intéresser. Il faut être naïf pour ne pas s’en lasser. Combattre la pensée unique et se lancer à la poursuite de la vérité sans prétention mais toujours avec cette même ferveur, cette même foi oserons-nous dire. Le mot d’ordre est ainsi lancé aux jeunes recrues montantes du journalisme.
« On m’a demandé quel était mon meilleur souvenir (…). C’est curieux, j’ai passé ma vie à patauger dans des drames abominables, des guerres civiles, des guerres de religions, des guerres tribales (…) et je ne me souviens pourtant que de quelques éclats de rire. Le monde est abominable mais la vie est drôle. »
Maud PROTAT-KOFFLER
Grand Reportage (les héritiers d’Albert Londres), Florent Massot, 310 pages : 16,50€

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