Didier Barbelivien : “Je me suis surtout occupé des carrières des autres”

Interview de 2010.
Conversation avec Didier Barbelivien.
La société actuelle vous inspire t-elle des chansons ?
D.B. : Non. Je ne me suis jamais inspiré de faits de société pour écrire. J’écris plutôt par imagination ou à partir de situations que je vois dans la rue, des histoires, des films… J’ai ecrit quelques chansons, et encore, du bout des doigts, pour Michel Sardou, parce que c’est un peu son enseigne de traiter des sujets de société. Mais il l’a rarement fait avec moi. Ses chansons, il les écrivait plutôt avec Delanoë.
Les chansons que vous écrivez pour les autres artistes, les écrivez-vous sur commande ?
Oui, ça m’arrive, mais il faut que je sois très proche de l’artiste pour lequel j’écris. C’est le cas avec Sardou, c’était le cas avec Patricia Kaas… Sinon, c’est très difficile d’écrire des chansons sur commande. Les artistes passent plutôt ici (studio), ils écoutent ce qu’il y a et ils font un peu le marché au milieu de tout ça.
Lorsque vous écrivez une chanson, visez-vous une catégorie d’âge en particulier ?
Non, je n’ai jamais pensé à ça. J’écris des chansons à la fois démodées et indémodables ; c’est-à-dire que je n’ai pas l’impression d’avoir avancé d’un pas en 40 ans d’écriture. J’écris de la même façon que j’écrivais quand j’avais 17 ans.
Tout au long de votre carrière, quelle aura été votre plus belle rencontre artistique ?
J’ai eu la chance de rencontrer et de travailler avec pratiquement tous les artistes français de la musique. Puis des gens tout à fait différents : des écrivains, des comédiens, des metteurs en scène, des cinéastes… Disons que j’ai eu un long parcours d’amitié et d’auteur avec Sardou. Dans un genre complètement différent, j’adore travailler avec Julio Iglesias. Le hasard du métier a fait que j’ai rencontré des gens comme Depardieu, que j’adore, Fabrice Luchini … C’est ça qui est agréable dans cette profession, c’est que c’est un peu interactif entre tous les métiers et que tu rencontres des gens que tu n’aurais jamais pensé rencontrer un jour.
Est-ce que pour vous, une formation classique comme celle enseignée au conservatoire est indispensable pour être musicien ?
Oui. Enfin, c’est mieux de taper au plus haut, d’avoir une ambition de culture et d’apprentissage de la musique, quitte à redescendre après. Quand je suis arrivé dans la variété, tout le système musical ou d’arrangement me semblait beaucoup plus simple parce que j’étais passé, à mon avis, par le plus difficile. C’est bien d’avoir les bases de la musique classique. Ne serait-ce que par ouverture d’esprit.
Vous avez écrit un livre, vos mémoires, pourquoi le faire aussi tôt ?
C’est le tout début de mes mémoires. Il relate les années de 54 à 80. J’ai voulu l’écrire maintenant, en tout cas cette partie de ma vie, parce que peut-être que si je m’y mets dans dix ans, je ne me souviendrai plus de rien ! J’ai préféré, tant que ma mémoire était en classe, au moins écrire la partie de ces années là. Si tout va bien, je poursuivrai avec les années 80, jusqu’en 95.
Comment arrivez-vous à gérer votre emploi du temps, entre famille, écriture …?
Comme j’ai toujours fait toute ma vie, au hasard. C’est-à-dire que j’ai un emploi du temps assez fantaisiste, et je fais au fur et à mesure de ce qui se propose et de ce qu’on me demande…
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de vous exposer politiquement ?
Je ne me suis jamais exposé politiquement. Il se trouve que j’ai une amitié qui date de bientôt 30 ans avec l’ancien Président de la République, que c’est mon ami depuis le jour où je l’ai rencontré, et que je me suis simplement exposé amicalement. Il est devenu Président de la République, mais quand il ne l’était pas, personne ne relevait le fait qu’on était amis.
Cette amitié, a-t-elle eu des répercussions dans votre métier ou dans vos rapports avec d’autres artistes ?
Non. Non, parce que, ça peut sembler bizarre pour les gens extérieurs, mais la famille artistique n’est pas politique. C’est-à-dire que j’ai des copains qui ne pensent absolument pas comme moi, qui sont des anti-sarkozistes de premier degré, avec qui je m’entends très bien. Il y en a même qui l’ont rencontré et qui le trouvent formidable. Les artistes ont, je pense, tous plus ou moins une couleur avouée politique ou pas, mais ça n’interfère jamais dans nos rapports. Par exemple, j’étais très ami avec Jean Ferrat qui était communiste.
Un message à faire passer aux adolescents d’aujourd’hui ?
Mon Dieu, vaste programme, un message aux adolescents, aujourd’hui ! Je pense qu’il n’y a pas de conseil à donner. Léo Ferré a dit un jour une phrase sublime là-dessus, il disait :
« L’emmerdant avec la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres ». Moi, je n’ai pas de conseil à donner. Quelques fois je vois des gens qui veulent en avoir pour se lancer dans cette profession… malheureusement, on ne peut pas en donner. Je ne peux donner qu’un avis personnel sur ce qu’ils font, mais leur dire ce qu’il faut faire, j’en suis incapable. La seule chose que je peux dire, c’est que quand on a une passion d’adolescent pour une vocation quelconque, ça peut être la musique, la menuiserie, la restauration ou le sport, il ne faut jamais en décrocher. Même si les autres vous disent « Ouais, mais ce n’est pas sérieux ! Passe ton bac avant ! Qu’est-ce-que tu vas faire si ça ne marche pas ?… », il faut s’en foutre. J’avais des copains qui pour certains ont dû regretter de ne pas avoir été fidèle à leur envie d’adolescent, à leur première passion. J’ai un ami avec qui j’étais à l’école qui a le même âge que moi et qui est devenu éditeur, c’est Jean-Marc Roberts. Depuis ses 15 ans, il me disait toujours : « Moi, je serai écrivain, après je serai éditeur, j’éditerai les livres des autres ! ». Il n’a jamais décroché et moi non plus. On n’a jamais décroché de ce qu’on voulait devenir. C’est vrai que ça peut inquiéter les parents, mon père me disait « Même pas en rêve ! ». Il pouvait être d’accord avec moi, mais c’est une question de résistance et de volonté. Il faut savoir que toute ambition adolescente a des pars de risques terribles, parce que ça demande un autre comportement, une autre attitude, d’autres sacrifices… J’ai des copains qui sont dans le football, ils partent à 12 ans de leurs familles, ils vont dans des centres d’entraînement… c’est une adolescence de cauchemar, jusqu’à ce qu’ils aient 18 ou 20 ans. Ça demande forcément des sacrifices personnels.
Aujourd’hui, avez-vous conscience de votre succès ?
Matériellement, oui, j’ai conscience de mon succès. Maintenant musicalement, je recommence tous les jours. Il n’y a rien d’acquis. Chaque fois que je passe en studio, je refais des chansons, un album, j’y mets le meilleur de moi, mais je ne suis pas sûre de la ligne d’arrivée.
On remarque une certaine humilité …
Je ne me trouve pourtant pas modeste. Ni modeste, ni orgueilleux, je me trouve simplement normal. Je suis quelqu’un de l’arrière cuisine. Il y a des gens qui travaillent à la lumière tout le temps, moi je suis plus un type de studio, de l’ombre. Ce qui rend modeste, c’est par exemple cette chanson que je n’arrive pas à faire, à l’heure où je vous parle, ça rend forcément modeste. Parce qu’il va peut-être falloir tout recommencer pour la cinquième fois, il va encore falloir tout reprendre. Parce qu’on s’est trompé, mais on ne sait pas où.
D’où vous vient cette passion pour l’écriture ?
D’un professeur de français ! J’ai eu de la chance… Dieu sait que je n’étais pas un élève appliqué, loin de là, j’ai même été un très mauvais élève jusqu’à mon entrée en troisième. Mais j’ai eu la chance d’avoir des profs agrégés au Lycée Chaptal qui m’ont complètement formé à la littérature, à la lecture, à la curiosité des textes, à toutes sortes de choses. C’est vraiment passé par là. Si j’avais été dans un autre Lycée, un autre établissement, avec des profs un peu moins pointus ou attentifs à ce qu’on voulait faire, je n’aurais pas eu ce goût pour la littérature.
Aimiez-vous lire étant jeune ?
Énormément ! A partir du moment où j’ai rencontré ces professeurs, je lisais un livre par jour.
Quel type de livre ?
Tout ! Une fois que j’ai mis le doigt dans l’engrenage, je n’ai plus arrêté.
Je déteste lire…
(rire) Oui, beaucoup de gens détestent lire. Mon fils ne lit pas un livre par an ! Moi, je ne peux pas vivre sans livre, c’est impossible. Je ne peux pas vivre sans fréquenter les librairies… Depuis l’adolescence, je ne fais plus un voyage en train sans emmener trois bouquins. Même quand je pars en vacances, j’emmène toujours le double de livres que je pourrai consommer.
Trois adjectifs qui vous décrivent ?
Difficile … je suis aussi bien travailleur que paresseux, appliqué que bordélique, sérieux que complètement loufoque, parce que je suis un artiste et que je suis né comme ça.
Vous encouragez les jeunes à réaliser leurs rêves, vous les faites participer à vos projets, pourquoi ?
Quand j’avais 16 ans, j’ai eu la chance d’être écouté et accueilli par des gens qui auraient pu ne pas m’écouter ni m’accueillir, et j’ai toujours privilégié l’accès à des gens inconnus, qui ne sont pas des artistes, que personne ne connait, des gens qui écrivent des chansons, qui veulent chanter. Dans la mesure de mes moyens et de mon temps libre, j’ai toujours accordé du temps aux gens qui débutaient et que personne ne connaissait, en souvenir de ce qu’on a fait pour moi et que je trouve indispensable et nécessaire dans la vie. Il faut toujours rendre ce qu’on vous a donné.
Dernier album : https://polydor.lnk.to/AmoursDeMoiFP
Maud PROTAT-KOFFLER

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