A l’occasion de la sortie de son dernier livre Espionnes : doubles vies sous haute tension paru aux éditions Flammarion, Dalila Kerchouche témoigne de son expérience au sein des services secrets français ; au cœur d’un récit romanesque, la réalité de quelques femmes est mise en lumière… En conférence à l’Ecole Supérieure de Journalisme, elle se livre, sans secrets.
Elle a rencontré les femmes de l’ombre. Dalila Kerchouche, journaliste à Madame Figaro, nous livre le récit de son enquête menée au cœur des services secrets français. Une mission délicate au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, des rencontres mystérieuses, mais une expérience unique et fascinante. Elle met ainsi en lumière la vie de quelques femmes plongées dans un milieu confiné : la DGSE. Dalila Kerchouche, fille de harkis, a une sensibilité particulière pour les histoires vouées au silence. Dès lors, elle se promet d’en parler à travers le journalisme.
Elle choisit de forcer le destin en se faisant d’abord embaucher à l’Express auprès de Marcel Gonin, le rédacteur en chef de l’époque. Elle y rencontre de nombreux journalistes d’investigation, des enquêteurs… une élite qui lui semble alors inaccessible, mais qu’elle ne tardera pas à rejoindre. Dis ans plus tard, elle rejoint Madame Figaro au service société. Elle se laisse fasciner par les missions de terrain et la diversité de reportages. Elle garde ainsi sa curiosité de journaliste intacte.
Investigation au cœur des services secrets
Elle attrape le sujet en plein vol. Sa directrice de rédaction ne s’attendait pas à un tel enthousiasme, surtout venant d’une journaliste qui ne connaît rien aux administrations secrètes. Mais Dalila Kerchouche tient bon s’appuie sur l’un de ses contacts au sein des services de renseignement. Quinze jours plus tard, la DGSE lui accorde une réponse favorable. Il lui faudra cependant passer par quelques négociations avant d’obtenir l’accord définitif et les conditions nécessaires au bon déroulement de son enquête.
Face à l’unique condition de l’anonymat, Dalila Kerchouche exige pouvoir rencontrer chaque femme pendant une heure, c’est-à-dire huit fois plus de temps que ce qui lui était proposé à l’origine. « Quand une brèche s’ouvre, dit-elle, on met le pied, puis le bras, et on essaye d’élargir un maximum ». La journaliste ne se contentera pas du minimum et finira par persuader la DGSE : « Pour sortir des stéréotypes, des clichés, il faut du temps ».
Dalila Kerchouche se retrouve alors face à des professionnels du mensonge et de la manipulation, des femmes « cadenacées par le secret défense ». La tâche est rude : comment faire parler des femmes dont le métier est de ne rien dire ? Rien n’arrête cependant la journaliste qui compte bien arracher la femme à l’espionne. Elle parvient à créer un lien et à endormir leur méfiance en déviant les sujets professionnellement sensibles vers des sujets plus personnels. Les larmes ne tardent pas à couler, délivrant ainsi l’authenticité de ces femmes vouées au secret. A force de patience et de réconfort, Dalila Kerchouche entre dans l’intimité de chacune d’entre elles. Loin des stéréotypes, loin des idées reçues, elle découvre la sensibilité cachée de femmes ordinaires. Elle parvient à leur faire perdre la notion du temps pour en gagner et obtient de véritables confidences, de femme à femme, de mère à mère.
Elles évoquent d’emblée le machisme de ce milieu naturellement masculin. Même si les femmes représentent aujourd’hui 25% des recrues des services secrets français, elles demeurent victimes d’un sexisme persistant, leur refusant ainsi certains postes. « Les agents secrets sont des commères comme les autres ». Malgré des coups bas, des carrières freinées, ces femmes font partie de l’élite des services secrets. Anciennes policières, militaires… elles sont avant tout filles, mères et épouses. Une anecdote nous renseigne sur le protocole de la DGSE : lorsqu’un agent secret tombe amoureux, une enquête est menée sur l’identité de l’individu. Digne d’un polard, et pourtant, ce qui se révèle au fil des lignes n’a rien d’un film.
Dalila Kerchouche intervient enfin auprès de la DGSI où elle rencontre une nouvelle fois des femmes au destin unique et surprenant. Après la parution de son reportage, cinq maisons d’édition la contactent. Confiance acquise, le travail se poursuit donc avec la DGSE. Après la parution du livre, elle reçoit la gratitude des femmes dont le témoignage reste dorénavant encré dans les mémoires.
Maud PROTAT-KOFFLER
